A Bar-sur-Aube, le médecin prend à peine le temps de s'excuser auprès des trois clientes qui restent plantées dans la salle d'attente de son cabinet. Il bondit dans sa 304, sa serviette de secours d'urgence auprès de lui. Il a dix-huit kilomètres à parcourir avant d'arriver à La Boisserie. La route est mauvaise et, ce soir, il pleuvotte.
19 h 15. Mme de Gaulle réclame le curé. Maroux saute dans sa voiture et va chez le curé. Il fait déjà très nuit. Il sonne deux coups à la porte de la cure. Dix secondes après une maigre ampoule électrique s'éclaire dans la cuisine. Traversant son jardinet, un petit curé frileux, l'abbé Claude Jaugey, cinquante ans, découvre dans le noir le chauffeur essoufflé.
Le général de Gaulle a un malaise ; on vous appelle à La Boisserie.
Le prêtre sent que c'est grave. Muni de sa trousse, il file, à côté du chauffeur, vers La Boisserie.
19 h 23. A trois minutes près, le médecin et le prêtre, convergeant de directions différentes, arrivent à La Boisserie.
Le médecin pénètre dans la bibliothèque. Le général ne râle plus, déjà il est mort. Le curé, qui saisit toute l'importance historique des minutes qu'il s'apprête à vivre, est resté près de la porte de communication dans le premier salon. Déjà il a enfilé son étole violette. Il prie.
Charlotte ouvre la porte de la bibliothèque. Le curé entre.
A genoux près du général, le médecin, son stéthoscope qui pend de son cou, palpe le ventre du corps. Un ventre dur. Gestes, actes désespérés et dérisoires. De l'autre côté du matelas le prêtre s'agenouille lentement. De sa trousse à tirette Eclair, il sort son manuel de Rituel et débouche son petit flacon d'huile.
Il y a urgence. Le curé utilise la formule courte des derniers sacrements.
Mon fils Charles, par cette onction sainte, que le Seigneur vous pardonne tous les péchés que vous avez commis. Amen.
Il appuie son pouce droit sur le front du mort.
Face à lui, le docteur, impuissant, relève la tête. Son regard croise celui de Mme de Gaulle qui s'est adossée au montant de la grande cheminée. La femme est digne. Charlotte ramasse les lunettes et les pose directement sur le petit meuble à cigares. Honorine serre son mouchoir contre sa poitrine. Elle écrase de courts et silencieux sanglots.
Le jeune médecin s'approchera de l'épouse du général de Gaulle. Sa voix couvre celle du prêtre qui psalmodie à genoux.
Madame, tout est fini...
Le regard de Mme de Gaulle est ailleurs, ses lèvres murmurent une prière.
Elle sait depuis quelques instants que l'irrémédiable est arrivé. Maroux pousse vers elle un siège. Elle le refuse, elle veut rester droite.
Toute la famille se regroupe auprès du corps du patriarche. Dans l'échoppe du menuisier Merger, deux cercueils se confectionnent dans la journée : celui de Plique et celui du général. Tous les deux identiques et aussi simples. Le montant de la facture s'élèvera à 445 F.
20 h. La bière est finie. Du chêne, quatre poignées simples et, sur le couvercle, un crucifix en aluminium poli... C'est tout.
20 h 30. Le fils Merger se rend à La Boisserie. Le cercueil est placé dans leur vieille camionnette. La mise en bière durera une demi-heure.
Dans le salon, autour de la famille réunie, le cercueil sera mis par terre. Un à un, défileront devant le corps, le général de Boissieu, les deux plus grands petits-enfants, Elisabeth de Boissieu, Philippe de Gaulle, sa femme et Mme de Gaulle. Chacun, l'un après l'autre, dans cet ordre, baisera le front froid de l'homme allongé. Sur ce front luit encore la trace de l'huile sainte.
La famille ensuite se replace à la tête du corps. Les deux ouvriers, aidés des deux chauffeurs (Paul Fontenil est rentré dans la journée de Paris) placeront le corps dans la bière. Mme de Gaulle refuse le capitonnage que Merger se propose de mettre. C'est à peine si l'on accepte d'étendre un papier blanc sur le fond de la caisse pour masquer les copeaux de bois. Un petit oreiller blanc est posé sous la tête du général.
___________________________________________________________________________________
J’ai appris le décès du général de Gaulle le lendemain à 10 heures sur l’autoradio de ma 3 CV: je revenais d' Essia.Il pleuvait: un vrai jour trise de novembre. Je me rendais au lycée où j’étais pion. J’ai commencé mon service à 11 heures mais tout le monde parlait de la mort du « grand Charles » comme on disait à l’époque. Une autre époque ? Pas certain : je n’aurais pas imaginé que le souvenir de cette journée demeure intact 40 ans après à une période où tout le monde (ou presque) est gaulliste.
A cette époque, j’étais un gaulliste de gauche militant. Quarante ans après, je suis persuadé que Mitterrand était un homme de droite soutenu par la gauche et que le général de Gaulle était un homme de gauche (décolonisation, lois sociales, contraception, innovations technologiques dans l’énergie atomique, l’aéronautique….) élu par la droite et détesté par le peuple de gauche. Allez donc comprendre.
A.D.
écouter Eric Zemmour "de Gaulle: indéboulonnable ? "
extrait du site : l'histoire en question
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.