Rapport au Premier ministre
sur la refondation des politiques d’intégration
1erfévrier 2013
LA GRANDE NATION
POUR UNE SOCIÉTÉ
INCLUSIVE
Vor allen aber des herrlische Fremdling,
mit desn sinnvollen augen,
dem schwebenden Gange
und den zartgeschlossenen tonnischen Lippen
(Novalis, Hymnes à la Nuit, I, Aubier Montaigne, trad. Geneviève Blanquis)
Et plus qu’eux tous, l’Étranger,
Superbe aux yeux profonds,
à la démarche légère,
aux lèvres mi closes, toutes frémissantes de chants
LA GRANDE NATION
POUR UNE SOCIÉTÉ
INCLUSIVE
Sommaire
1re PARTIE – REFONDER .............................................................................................. 7
Pourquoi faudrait-il refonder la politique d’intégration ?......................................................................................... 9
Qu’est-ce que l’intégration ?........................................................................................................................................ 11
Doit-on encore parler d’intégration ?.......................................................................................................................... 12 Par quoi remplacer le concept d’intégration ? Par une politique de mise en capacité
pour créer une société inclusive................................................................................................................................. 14
Faut-il conduire cette politique ?................................................................................................................................. 15
Choix politiques.............................................................................................................................................................. 17
Où en sommes-nous ?.................................................................................................................................................. 19
Que doivent être les bases de la nouvelle politique d’intégration ?..................................................................... 21
Dix axiomes sont proposés au débat pour forger une doctrine durable................................. 21
2e PARTIE – RENDRE CONFIANCE:
LES GESTES FONDATEURS D’UNE AMBITION........................................ 27
La vérité des flux maintenant...................................................................................................................................... 29
Français naturellement, par l’école ou les enfants............................................................................................... 30
Honneur aux braves..................................................................................................................................................... 32
Pour la dixième et dernière fois, achevons de renover les foyers
et laissons les immigrés vieillir en paix !.................................................................................................................. 33
Notre histoire partagée est une memoire vivante................................................................................................... 34
Contrôle social des critères d’accès au logement ............................................................................................... 36
Vérité face aux clandestins......................................................................................................................................... 37
Des carrés musulmans dans les cimetières.......................................................................................................... 39
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3e PARTIE – LES AXES DE LA REFONDATION ......................................................... 41 |
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Outils............................................................................................................................................................................ 43 Le devoir d’intelligence, de pédagogie et de critique .............................................................. 43 Agir puissamment sur un territoire dans une République décentralisée.................................... 46 Agences............................................................................................................................ 49 Il faut sauver les associations.............................................................................................. 52 Des fonctionnaires d’élite .................................................................................................... 57 Thématiques.............................................................................................................................................................. 59 La politique d’intégration est la politique: toute politique doit être politique d’intégration........................................................................ 60 Laissons prier les musulmans !............................................................................................ 62 Culture : c’est aux fruits qu’on reconnaît l’arbre ..................................................................... 66 Loger................................................................................................................................. 70 Point de respect des jeunes sans respecter les vieux............................................................ 73
CONCLUSION ............................................................................................................... 75 |
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ANNEXES........................................................................................................................ 77 |
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annexe n° 1: la lettre de mission ......................................................................................................................... 79 annexe n° 2 : liste des personnes auditionnées................................................................................................. 81 annexe n° 3 : résumé analytique des principales propositions....................................................................... 85 annexe n° 4: présentation des principaux acteurs de l’intégration............................................................... 93 |
LA GRANDE NATION POUR UNE SOCIÉTÉ INCLUSIVE |
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1re partie Refonder 7 |
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Pourquoi faudrait-il refonder
la politique d’intégration?
Parce que si l’intégration n’a, heureusement, pas cessé, la politique, qui la favorise, a, elle, quasiment disparu.
Pour être honnête, la politique de lutte pour l’intégration des immigrés a toujours été un désir ou un regret pour ceux qui l’appellent de leurs vœux, plutôt qu’une réalité.
Sa nécessité s’est fait sentir après la décolonisation et la guerre d’Algérie, quand les mesures sociales envisagées pour des Algériens français sont devenues insuffisantes face à une immigration maintenue puis élargie, dans les années 1960. L’essor de l’établissement public chargé de l’introduction des immigrés (l’OMI) et de celui responsable de l’intégration (le FAS) ont paradoxalement été stoppés au moment même où le besoin s’en faisait le plus sentir: alors que l’immigration de travail devenait, conformément à la Convention européenne des droits de l’homme – et aux valeurs républicaines réaffirmées en 1946 – une immigration familiale, la crise économique suscitait le fantasme de l’arrêt de l’immigration, incitant à réduire les budgets et à taire le discours naissant sur les nécessités de l’intégration. Donnant libre cours à une xénophobie archaïque et minoritaire, le discours d’apparence rationnelle, équivalent nombre d’immigrés usurpant des emplois et nombre de chômeurs, ouvrait le champ au Front National et à des réactions symétriques guère mieux pensées. L’impasse ainsi empruntée conduisit à des tentatives de changement de plan – soit dans l’antiracisme et le multiculturalisme, soit dans la politique de la ville. Le retour de la raison (création du Haut conseil à l’intégration, croissance de politiques territoriales croisant investissement et ingénierie sociale, dirigées par la DIV et par le FAS) dura peu, dilué dans les difficultés politiques et budgétaires, laminé à nouveau par la crise, le populisme, créant des réactions d’évitement par le droit ou par la police, jusqu’à ce que, tous partis confondus, on oublia semble-t-il jusqu’au mot même d’intégration. L’État a détruit une partie des outils de sa politique : les crédits, les établissements, et, plus grave, les personnels compétents et les associations les plus actives. Ce qui demeure aujourd’hui est pour l’essentiel à la périphérie du problème social auquel nous sommes confrontés, ou le traite avec trop d’apriori mal fondés ou ne reposant que sur la crainte.
À la périphérie du problème se situe la lutte contre les discriminations, telle qu’on l’a entendue depuis une quinzaine d’années.
N’en demeure en effet que la mission confiée au Défenseur des droits, qui vient de succéder à la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE). Il est évidemment sain, utile et respectable, qu’une autorité administrative indépendante recherche, dénonce, et invite à réprimer les discriminations les plus frappantes. Donner à l’opinion des exemples, clamer la publique réprobation d’insidieuses pratiques, dénoncer et prévenir, tout cela est bel et bon : mais croit-on qu’on transforme les relations sociales en donnant des leçons de morale? Il en faut une, le droit – pénal – doit passer. Mais acquérir un emploi, accéder au logement, sortir des ghettos, pratiquer paisiblement la religion de son choix, échapper à l’échec scolaire, se défaire de l’emprise des origines pour n’en garder que la fierté – tout cela ne peut s’obtenir par cette seule voie. Et qu’en penseront ceux placés presque dans la même situation, mais pour lesquels l’explication n’est pas dans l’origine étrangère?
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Périphériques aussi les murailles de papier qu’on édifie, dont on ne sait au juste qui elles défendent.
Depuis trente ans, voire depuis 1945, nous sommes obsédés par la nationalité – à un point tel qu’elle est devenue légalement, dans l’organisation actuelle, le terme obligé de l’intégration, ainsi réputée achevée par l’acquisition de la nationalité. Toutes les générations françaises, deuxième, troisième, quatrième, qui, aujourd’hui encore, par leur couleur, leur patronyme, leur foi, voire leur cuisine, leurs vêtements, leurs chants, sont rejetées, tenues à l’écart, cantonnées ou évitées, sont regardées pourtant comme ne relevant plus de la politique d’intégration : discriminées peut-être, en échec social sans doute (on ne peut quand même nier cette évidence) mais non intégrées?, certes pas, car françaises.
À cet égard, l’acquisition de la nationalité française peut pour certains n’être qu’une impasse, quand on la voudrait nouveau départ. Rien de plus noble que de devenir citoyen français – c’est une reconnaissance, la source de droits, et motif légitime de fierté. À ce titre l’acquisition de la nationalité est une étape clé et un vecteur puissant. Mais qui croira que la remise, même solennelle, d’une carte d’identité, abolira instantanément le reproche que font voisins, collègues, et inconnus, d’être, irrémédiablement, étrangers?
Encore plus périphérique, et stratosphérique même, l’invocation rituelle, chamanique, des Grands Concepts et Valeurs Suprêmes ! Empilons sans crainte – ni du ridicule ni de l’anachronisme – les majuscules les plus sonores, clinquantes et rutilantes : Droits et Devoirs ! Citoyenneté! Histoire ! Œuvre ! Civilisation Française ! Patrie! Identité ! France ! – on se retient, pour ne paraître point nihiliste ; dans quel monde faut-il vivre pour croire un instant opérante la frénétique invocation du drapeau ? Depuis quand Déroulède a-t-il résolu un seul problème social ? De quoi s’agit-il – où est la frontière à défendre, le Reich à combattre, l’ennemi à refouler ? Marchons-nous vers Verdun ou le Vercors ? Ou quelque part entre Pôle emploi et un foyer de travailleurs migrants en déshérence?
Au XXIe siècle, on ne peut plus parler en ces termes à des générations de migrants, qui d’ailleurs n’arrivent plus de l’ancien empire français seulement, on ne peut plus leur tenir undiscours qui fait sourire nos compatriotes par son archaïsme et sa boursouflure. Nous parlonsde société, de justice ; d’équité, et de quartier, d’habitat, de vie privée. De liberté. Ne parlonspas à ceux qui peinent à s’intégrer avec des mots que nos manuels scolaires ont abandonnés depuis cinquante ans. Nous sommes des générations de paix, de prospérité, d’Europe, de liberté : cessons de singer le discours martial de la revanche de 1870 – dont on finira par croire qu’il ne sert qu’à masquer l’incapacité à penser la société de demain. Du reste, les seuls qui versent vraiment leur sang pour la patrie, aujourd’hui, nos soldats, sont souvent issus de l’immigration!
Notre premier devoir est donc de penser l’intégration pour elle-même et de rendre à cette politique la base idéologique qui lui fait cruellement défaut au point, comme on vient de l’énoncer, qu’on est tenté d’en fuir les exigences dans des alternatives inefficaces ou passéistes.
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Qu’est-ce que l’intégration?
C’est le phénomène social par lequel se dissipe le rôle majeur de l’origine réelle ou supposée comme facteur des difficultés sociales rencontrées par une personne.
Le résultat de l’intégration n’est pas la disparition de l’origine étrangère réelle ou supposée, ni même son effacement, et encore moins son oubli ou sa négation. Chacun d’entre nous doit et peut demeurer fier de ses origines – dont il n’est, hélas, pas inutile de rappeler qu’elles nous font tous descendants de la seule race connue parmi les hommes : la race humaine.
L’origine étrangère réelle ou supposée est un facteur prééminent de difficultés sociales pour des raisons multiples : elles peuvent tenir à l’intéressé lui-même, qui ne dispose pas des outils permettant de trouver sa place dans la société et d’en changer : langue, savoir-faire sociaux élémentaires, modes de rapports interpersonnels, compétence, qualification, peuvent faire défaut, ou en tout ou en partie s’avérer inadéquats dans notre société. Cette situation est particulièrement celle des primo-arrivants, mais se rencontrent aussi chez des nationaux depuisplusieurs générations, et rejoint alors largement la problématique de l’exclusion, territoriale et/ou sociale. Les difficultés sociales peuvent tenir à l’intéressé pour des motifs non objectifs, dus soit au sentiment personnel d’échec ou d’impossibilité d’évolution, soit au refus, pur et simple,rarement idéologique ou religieux, plus souvent fondé sur le ressentiment et le sentiment de lacondamnation de la société à une relégation ou à un échec. Elles peuvent tenir au comportementde la société d’accueil : exclusion par peur, discrimination par préjugés, réaffirmation identitaire,beaucoup plus rarement racisme pur. Mais la raison peut également tenir à des faits objectifs plus qu’à des comportements collectifs, ces faits mêlant histoire, géographie, sociologie : la concentration géographique des origines, la ségrégation spatiale des habitats, par strate sociale et origine… La combinaison de l’ensemble de ces facteurs, qui comme tout phénomène sociologique multifactoriel est particulièrement difficile à analyser et se prête mal à des explications univoques, qui grossissent un trait en oubliant tous les autres (“c’est le défaut de volonté”, “c’est le racisme”, “c’est la religion”, “c’est la langue”, “c’est le chômage”…), conduit àun constat inégalement accablant: c’est globalement que la société intègre ; mais elle le fait mal, insuffisamment, si les politiques publiques n’y aident pas. La plupart de nos compatriotes d’origine étrangère récente (sur le long terme nous sommes tous d’origine étrangère et avons tous vocation à devenir autochtone…) vivent en paix une vie peu différente (la différence se réduisant souvent à la couleur des timbres sur les cartes de vœux…) de celle des Français ditsde souche. Mais une part anormalement élevée d’entre eux connaît un surcroît d’échec scolaire,de difficultés d’accès à l’emploi et au logement, demeure dans les déciles les plus pauvres de lapopulation, n’accède que trop peu à la culture, aux responsabilités, a une santé plus dégradée,une espérance de vie plus courte, et rencontre pour l’essentiel – c’est-à-dire être, croire, aimer – réprobation, entrave, critique. C’est la correction de ces disproportions que vise la politique d’intégration.
Le résultat de l’intégration, on ne l’a pas assez dit, n’est donc pas la prospérité, la santé et l’emploi pour les étrangers : l’intégration garantit seulement que le défaut de prospérité, de santé ou d’emploi n’est pas dû à d’autres motifs qu’éprouvent et subissent ceux auxquels une origine étrangère n’est pas prêtée.
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De cette définition résulte plusieurs conséquences qui structurent l’espace des politiques publiques, et permettent d’expliquer bien des échecs et des erreurs : respecter la logique de l’intégration ne garantit pas le succès, mais la méconnaître assure l’échec.
Résultant d’une complexe mécanique sociale, l’intégration comme tout phénomène multifactoriel, est délicat à comprendre, à apprécier et à mesurer. Résultante de parcours individuels en interaction avec famille, voisins, amis, collègues, inconnus dans la rue, elle n’est pas un système dont on pourrait réguler les variables. La politique qui vise à l’accélérer, l’améliorer, l’intensifier, bref la faciliter, est nécessairement approximative parce qu’elle procèdepar voie de généralisations ou d’hypothèses-là où ne sont en jeu que des trajectoires humainesindividuelles. Elle ne peut donc connaître de succès plus proche de l’humain : comme en santéhumaine, la santé sociale peut globalement reposer sur la prévention, mais guérir est toujoursune histoire personnelle, vivre français aussi. Les généralités ronflantes sont ici plus qu’ailleursinefficaces, déplacées, et masquent assez mal la lâcheté de ceux qui les profèrent : agir pourl’intégration n’est pas clamer, c’est le travail patient d’instituteur, de puéricultrice, de formateur, de travailleur social, de créateur, de tuteur, – autant de passeurs d’un sens social partagé.
Le projet demeure, les acteurs ne sont pas tous découragés. Les destinataires de cette politique restent nombreux. Il ne faut pas se tromper sur ce que nous voulons faire : il faut sans doute quitter le terme, trop usé, trop connoté, trop entaché d’impuissance, d’intégration.On l’emploiera encore ici par commodité et sans s’acharner sur sa critique, mais il faut pour penser la politique trouver autre chose.
Doit-on encore parler d’intégration?
Les professionnels (rares survivants parmi les trop nombreux amateurs) savent ce que l’on vise ainsi, qu’on vient de décrire. Le terme est pourtant vivement contesté. Notons qu’en général la clameur à son encontre est d’autant plus violente qu’on a moins d’idées pour remplacer le terme – parce qu’on n’a pas le concept qui serait ainsi nommé, ou plus souvent parce qu’on n’ose pas dire par quoi on le remplacerait: car ce serait souvent par de vieux souvenirs, la francisation, l’assimilation…
Deux angles critiques seront ici récusés. Le premier qui se fonderait sur les généralités majuscules de bronze, plus creuses qu’une statue de fer-blanc, qu’on a dénoncées plus haut et qui ne peuvent construire un cheminement social fin conduisant à leur aide le jeune Z vers le succès – ou vers un échec qui ne tienne ni à sa peau, ni à son accent, ni à son nom, ni à son adresse… Et le deuxième, qui ferait des destinataires du processus qu’on ne veut nommer, et d’abord pas nommer intégration, les objets d’un usinage, le matériau d’une machine à mouler les Français, dont les ratés seraient dus au fait qu’il refuserait la fonte, le creuset ; nous parlons d’êtres humains, nos frères, selon la devise qui est au front de notre Constitution : car la révolution de 1789 n’a pas entendu que la fraternité ne s’exerçât que sur une fraction du genre humain.
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Il reste que l’intégration horripile souvent ceux auxquels elle est destinée. Questionné, le concept en montre la faiblesse. Si c’est un processus, il a un début – l’entrée sur le territoire. Dans ce cas les enfants, la deuxième, troisième, quatrième génération aujourd’hui, qu’en fait-on? Par quelles politiques seront-ils concernés ? Qu’il a été commode de les oublier, en les noyant dans l’exclusion et les discriminations ! Elle a aussi un terme – lequel ? Sommes-nous intégrés parce que blancs (avec quelle nuance ? Et que dire nos compatriotes d’outre-mer ?), nationaux (que dire aux Français dont la couleur, l’accent ou le patronyme expliquent l’échec alors qu’ils ont les fameux papiers ?), chrétiens (quid alors des juifs ou des athées ?) ? L’intégration est en outre transitive : c’est dire aussi qu’elle fait de son objet cela même : un objet. Étrange manière de vouloir rendre libres et capables des êtres humains, qu’on traite ensuite comme un matériau, dont on doit redresser les défauts, une pâte inanimée, qu’on va triturer, avec générosité mâtinée de condescendance, une fermeté mêlée de distance… Enfin l’intégration appelle aussi une référence, à ce à quoi on intègre – qu’on serait bien en peine de décrire : à notre société émiettée, tribalisée, internationalisée, individualiste, fragmentée, où les communautés multiséculaires, qui étaient famille, paroisse, province, – et les groupements collectifs assurant la socialisation – syndicats, partis, église – sont remplacés par des multiples appartenances croisant les critères et insoucieuses de cohérence, qui dira comment on y est intégré ? Comment le mesurer ? D’ailleurs, le test de l’impuissance acquise de l’outil conceptuel “intégration”, on le trouve dans la fréquente apostrophe jetée dans les rencontres fortuites, ou pas, avec ceux qu’elle concerne: “si l’intégration a échoué, que suis-je – désintégré ?”. La question, née de notre incapacité à nommer et définir ce à quoi on s’intègre (si on cherche à le définir avec réalisme, sans fuir dans les généralités grandiloquentes déjà dénoncées) révèle un autre écueil : l’incapacité à définir ce qu’on intègre autrement qu’abstraitement. Toutes les politiques sociales commencent en effet par une définition des personnes en relevant un critère objectif majeur – handicapé, malade, familles nombreuses, mineurs, personnes sans logement – qu’on affine avec des seuils de délimitation (revenus, intensité, âge, fixation d’un pourcentage…) Il est impossible de le faire pour les “immigrés”, en dehors de la catégorie des primo-arrivants, définis par l’origine étrangère, le passage de la frontière et les difficultés sociales éprouvées justifiant une intervention publique. L’absurde débat sur les statistiques ethniques l’a montré : on ne peut compter qu’en retenant des critères qui n’ont pas de valeur explicative suffisante (si tous les handicapés moteurs ont une difficulté de déplacement, si toutes les femmes enceintes ont besoin d’un congé, si toutes les personnes âgées ont besoin d’un revenu minimum, tous les non-nationaux, tous les gens descendants d’Algériens, tous les jeunes à la peau noire ou jaune, non pas, fort heureusement, besoin d’aide pour s’intégrer). On ne peut conduire des études qualitatives, non statistiques, autres qu’approximatives – donc encore moins définir les formes publiques de l’intégration. Et puis, comment demander qu’on ignore la couleur de peau pour la vie sociale en commençant par déterminer les frontières du groupe aidé par sa couleur de peau? Comment suivre l’injonction de l’État demandant “ne traitez pas d’immigré celui que je vous demande d’identifier comme tel pour le singulariser ?”
Résumons : l’intégration mène des populations mal définies sur un parcours incertain pour rejoindre
on ne sait quoi –et elle entend répondre ainsi à des difficultés sociales nées d’une origine étrangère réelle ou supposée. On comprend que le terme hérisse ceux censés en bénéficier, et ait suscité la fuite
et l’évitement chez les politiques censés l’impulser, pris entre le marteau des anathèmes néo vichystes et l’enclume des fonctionnaires de la résistance sans péril.
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Par quoi remplacer le concept d’intégration?
Par une politique de mise en capacité
pour créer une société inclusive
Les défauts de l’intégration sont d’instrumentaliser ses destinataires en en faisant des sujets passifs, de supposer un parcours temporel qui se prête mal aux réalités des trajectoires personnelles hétérogènes, d’exiger de définir les publics qu’on sait observer mais pas subsumer sous une variable autre que celle dont on veut gommer les effets, qui stigmatise au moment où l’on veut que cesse le stigmate.
~ Tirons-en les conséquences. La politique nouvelle doit être collective – les personnes concernées doivent en être aussi les acteurs, non dans la logique enfermant dans des droits et des devoirs, mais dans celle, collective, des efforts partagés : le vôtre, le mien, pour que nous soyons français ensemble. La société qui intègre se transforme autant qu’elle transforme celui qui s’intègre. Personne n’en sort le même – c’est de là que naît la peur pour ceux qui sont déjà ici, et la crainte et le rejet, pour ceux qui arrivent. Nous devenons français tous les jours. À nous de rendre l’aventure – c’en est une – grisante, et exaltante, pour tous. Notre horizon n’est plus un phénomène obscur constaté de loin qui serait concerné par des politiques que nous ne connaîtrions pas ni n’aurions à soutenir – notre horizon doit être l’ambition commune d’une société inclusive.
Une société compartimentée, par des coupures de revenus inégalitaires, des territoires en déshérence, des modes de vie tenus à l’écart, est une société qui génère la violence, sur les frontières qui la structurent, la rancœur et la revendication, l’amertume et la brutalité chez ceux qu’elle écarte, la peur et le repli chez ceux qui en sont. Cela coûte, mais surtout cela n’est pas durable. Une société inclusive – qui demande à chacun l’effort de rejoindre son centre et de ne pas demeurer seul sur ses marges, qui demande à chacun donc à tous, sans exception, de construire la dynamique centripète ramenant en son sein la plus grande part possible de ses composantes, est une société efficace, économiquement prospère et politiquement sûre, c’est-à-dire protectrice, donnant liberté et sécurité. L’histoire de la dynamique économique et politique de l’Occident est celle-ci – celle d’une recherche permanente de l’inclusion, par opposition non à l’exclusion, mais à la prédation : une société de prédation se construit (avec les institutions correspondantes en miroir) par la domination de certains, maintenant frontières et barrières à leur profit : elle peut être rentable un certain temps, mais ne génère jamais la même richesse, ni le même degré de bonheur, que celle d’inclusion, et finit, toujours, par l’explosion sociale et politique (plus rarement par une transformation sans crise qui s’esquisse, mais échoue trop fréquemment).
Construire une société inclusive est un effort partagé par tous ceux qui résident ici ; c’est un horizon commun d’effacement des divisions, non un effort asymétrique où certains ont les droits et d’autres les devoirs ; c’est une politique publique et un mouvement de transformation sociale, non une prestation qu’on condescend à verser à certains aux dépens d’autres ; c’est une élévation collective – de nos richesses et de nos conditions de vie, non une aide accordée à des tiers.
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À tous ceux qui la récuseraient pour ne pas quitter le confort même minime de la société actuelle, où un passé souvent fantasmé, rappelons que s’ils ne veulent pas quitter l’état actuel de notre société, cette société les quittera, quoi qu’ils en aient : mieux vaut participer au mouvement et au choix de la construction que de rester sur le bord de la route où passe l’histoire de la nation...
~ L’objectif de la société plus inclusive à bâtir doit être de permettre à chacun de prendre part à la vie sociale, politique, économique, culturelle; être sur le forum et pouvoir parler, ou se taire, commercer, se déplacer, et croire, aimer, à égalité. La justice est la condition du succès de la construction d’une telle société inclusive ; le principe républicain en est : à chacun selon son dû. La loi pose l’égalité dans la définition de ce qui est dû à chacun. On peut corriger les inégalités de fait – en redistribuant les richesses, en offrant une égalité de chances sinon de succès, en assistant la correction des inégalités de faculté par les égalités de soutien public. Cela ne suffit pas lorsqu’il s’agit de remédier aux origines réelles ou supposées : il faut donner des savoirs, des savoir-faire, et des savoir-être (la langue, les codes sociaux, les modes d’être, les mœurs, la morale collective…) ; il faut compenser les réactions de rejet et de refus (discrimination, incompréhension, peur, a priori…) ; il faut partager – culture, espace; il faut rompre les frontières invisibles, de part et d’autre. L’ensemble de ces actions vise à la même chose : une mise en capacité. Non pas assister, mais mettre en capacité – autant ceux que la société refuse d’inclure, que cette société non inclusive elle-même. La mise en capacité doit concerner tout ce qu’on mobilise – la société entière s’il se peut (pour construire une société plus inclusive). Cette mise en capacité n’est donc pas que juridique (nationalité, droits divers…) ou sociale (prestations, dispositif dédié…) – elle est aussi et d’abord sociétale (lien social, participation effective à la société dans tous les domaines, pas seulement par le sport ou le ménage ou les BTP!) et culturelle – notre culture étant celle que nous élaborons, pas un stock fini de cathédrales et de musées où périclite une identité nationale passée, sans présent ni avenir.
En somme, par société inclusive et démarche de mise en capacité, nous n’entendons que donner corps à l’égalité et à la fraternité dans la liberté – partagée.
Le terme intégration sera encore utilisé ci-après, mais par commodité de langage, en gardant à l’esprit la nécessité, qu’on n’a fait qu’esquisser, de donner corps à un nouvel essor en décidant un nouveau but commun et une nouvelle démarche. Si débat politique il doit y avoir sur l’intégration il doit être celui-ci : lui redonner des fondements philosophiques aptes à susciter l’élan de la société entière.
Faut-il conduire cette politique?
Posons la question, au moins à des fins rhétoriques : les motifs profonds de cette politique sont de nature à ressusciter des ardeurs à son service.
La première nécessité est de nature morale. Depuis 1945, un État démocratique est fondé sur le principe de dignité. “Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les puissances qui ont tenté d’asservir la personne humaine », notre République a affirmé comme particulièrement nécessaire à notre temps – et l’ONU l’a confirmé pour le monde entier – ce principe. Il nous oblige, en premier lieu moralement, à faire, individuellement et
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collectivement, tout pour ne laisser aucun être humain franchissant nos frontières dans le dénuement et aucun de ceux y séjournant dans l’ostracisme. Un État moderne n’a de sens qu’œuvrant pour les siens – aucun projet de grandeur ne peut s’incarner que dans la poursuite du bien-être collectif, un État qui négligerait une partie de son peuple, accepterait la division, et méconnaîtrait la dignité, trahirait les principes de sa légitimité. Une grande démocratie qui, depuis qu’elle existe, entend parler au monde, et lui proposer des valeurs universelles, ne peut parler que depuis une position morale irréprochable. Rayonner hors des frontières ne se peut qu’à raison de l’effectivité de nos principes en leur sein. Il n’y a pas de débat politique ouvert sur ce point – aucune option, aucun choix. On peut débattre des moyens, des buts prioritaires, des valeurs de référence. L’unité du genre humain, l’obligationabsolue pour l’État de garantir à chacun des éléments matériels de cette dignité, de défendrepour tous la liberté, d’aller et venir, de vivre selon son choix, de croire, dans le respect partagé des libertés d’autrui : qui le refuse refuse d’être français.
Si la morale ne suffit pas, - et on craint, hélas, qu’elle n’ait jusqu’à présent pas suffi, - suppléons la par des motifs plus intéressés. Ce que construire une société inclusive nous apporte dépasse immensément, en bénéfice, ce que peut nous coûter cet effort. Commençons par la peur, puisque les médias, en miroir de nos attentes, nous y invitent, avec la gourmandise que nous y mettons. On a raison d’avoir peur, mais pas pour les raisonsque nous y mettons d’ordinaire.Il est absurde de généraliser à des millions de personnes le risque que quelques dizaines de voyous font courir à la paix civile : nous ne sommes pas à la veille d’une guérilla urbaine menée par les territoires en sécession ravagés par l’intégrismeterroriste.Il est, en revanche, exact que les ratées de l’intégration, résultant des carences despouvoirs publics, combinées aux effets ravageurs de la crise économique, créent des dérives inquiétantes par l’effet de contamination qu’elles peuvent avoir – l’essor des trafics décrédibilise la filière scolaire et l’accès à l’emploi, la violence qu’ils sécrètent et qu’avivent désœuvrement et misère sociale, amplifie les tensions et les clivages, la recherche identitairede territoires entiers victimes d’une spirale de ségrégation urbaine, sociale, scolaire, médicale, contribue par des comportements claniques, réduisant, notamment, la religion à ses apparences, à renforcer l’exclusion. Mais, surtout, l’affichage, au gré de faits divers, que noussommes prompts, par des généralisations abusives, à transformer en symboles, suscite des réflexes identiques, installant une pensée politique clivante – Eux et Nous – qui ne propose que des actions en miroir – frapper là où il y a violence, quitte à frapper à tort et créer plus de violence, tenir à distance et ainsi renforcer l’isolement, stigmatiser quelques zélotes et ainsi ostraciser des millions de croyants. Comprendre n’est pourtant pas excuser; mesurer et ramener à sa juste proportion n’est pas justifier. Agir sur les causes (en restant ferme, dans les faits et non les discours seulement, sur les manifestations) permet de casser ce cercle vicieux. Pour briser la violence qui enfle, ce n’est pas une plus grande violence qu’il faut, mais une politique visant à en assécher le terreau : il est, encore, toujours, social.
Au demeurant, le vrai danger n’est pas dans les crimes rares et les délits trop fréquents –il est dans l’assourdissant silence de l’effondrement et du repli. Échec scolaire, chômage, insalubrité du logement, ségrégation spatiale, fermeture de l’accès à la culture, déstructuration familiale, atteinte aux libertés, notamment de conscience, santé chancelante,espérance de vie moindre, discours violent et accusatoire des pouvoirs publics : alors on setait, on souffre entre soi, on attend. Les élites, les vieux ayant autorité, les jeunes diplômés, les fortes têtes au charisme et aux savoirs sociaux, qu’on maltraite, rebute ou rejette, se taisent, les associations s’éteignent. Sait-on le coût économique et humain de ces territoires endéréliction? Les vraies zones de non-droit sont celles-là – celles où habitent ces sans-droits.
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On n’y déverse pas des milliards, mais on se prive de leur richesse potentielle, qui est humaine. Aucune société ne peut accepter de fabriquer en son sein les parias, les ilotes, les affranchis, sans citoyenneté ni liberté.
Car – c’est l’une des étonnantes mutations observées ces dernières années – agir pour l’intégration serait rentable. Difficile d’accepter cette seule justification, mais elle est pourtant portée par de nombreux acteurs associatifs : ne la boudons pas. Remettre dans la société jeunes, mères, vieux, tous et chacun, est producteur de richesses, non seulement par l’économie, à terme, de dispositifs traitant de pathologie sociale comme la délinquance, mais aussi et surtoutpar l’immédiate production de richesses, qui diffuse sur place et irrigue bien plus et mieux que n’importe quelle aide publique : ramener à l’emploi, remettre sur le chemin de la formation, sortir de l’isolement est un investissement public aux dividendes rapides et considérables, économisant le coût de l’exclusion et les externalités négatives de la destruction de richesses.
Qu’on pense, du reste, si l’on veut à tout prix ramener la France et sa grandeur, à la puissanced’un pays fort de la diversité des sources de son peuplement, uni dans une société fraternelle face à la mondialisation ! Qui sera le meilleur commercial, du pays replié sur sa ronchonne célébration du village d’autrefois, ou de celui fier de ses visages contemporains magnifiant uneculture vivante et dynamique ? Quels marchés s’ouvriront au premier, confit dans la célébration,partielle et partiale, d’un passé mythifié, et au second, affichant ses cultes, ses croyances, sessuccès, ses enfants libres ? Lequel gagnera la course à l’innovation, qui demande mobilité desangles de vue, regards iconoclastes, travail de groupe aux talents divers et mise en réseau autravers des frontières ? Lequel pourra apparaître aux yeux des autres pays comme une référence morale, culturelle, spirituelle, apte à tenir un discours d’exemplarité?
Conduire une politique d’intégration, c’est gagner à tout coup le pari de Pascal : on gagne si on y croit, et on fait plus que ne pas y perdre si on n’y croit pas – on y gagne aussi.
Choix politiques
La politique permettant par la mise en capacité des personnes de construire une société inclusive n’est pas une politique transcendant les clivages qui pourrait faire l’objet d’un consensus national.
On pensera peut-être que la frontière passe entre l’extrême droite et l’arc républicain, mais on se trompe.
Il existe deux extrêmes dont le discours et les projets nuisent gravement au succès de cette politique, car ils en contestent le bien-fondé même, en récusent l’objectif et la méthode.
L’extrême droit est le mieux identifié : promouvant une France repliée sur la célébration de ses archaïsmes, apeurée par l’avenir, et redoutant les charges de la grandeur, elle ne connaît l’étranger que pour le craindre et le combattre, dénuée de confiance dans notre société, préférant vivre petitement sur un héritage qu’elle dévoie. On combattrait du reste plus aisément ces mirages populistes en lui opposant des faits et des chiffres, que par la réprobation courroucée et impuissante ; et par l’affirmation collective de nos valeurs, pour les contraindre à les combattre plutôt que les usurper. La grandeur est du côté de la République ouverte qui
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se fiche des races et des origines, qui intègre généreusement ses enfants et reconnaît ses vieux,qui aime jalousement la liberté et donne à chacun sa chance de prospérer; ici est la patrie, iciest la nation qui l’incarne, joyeuse, multiple, ouverte, et non obsédée par des périls imaginaires ou des projets liberticides et absurdes, qui méconnaissent la réalité du monde.
Mais qu’on y prenne garde : les petites bandes de militants clairsemés qui s’achètent une conscience en manifestant en keffieh (aimant, du reste, plus rarement les kippas) pour plaiderl’ouverture des frontières et traiter les agents publics appliquant la loi de nazis, tous ceux qui croient rejoindre le Vercors en aidant un clandestin, qui jouent à prévenir la rafle du Vel’ d’Hiv’, protégés par les lois qu’ils violent en niant la justice de la République, tous ceux qui appellent à laisser n’importe qui venir n’importe comment (mais quand même pas n’importeoù), croyant que l’immigration est heureuse si rien ne la réglemente – tous ceux-là ont pour projet (quand ils en ont un) ou pour effet de détruire la trame même du tissu social qu’une politique d’intégration doit restaurer et retisser. Car le tissu social est une trame sociale et une chaîne d’ordre public ; la loi ne se combat que par le vote et les partis ; les fonctionnairesde notre État n’ont pas à rougir de mettre en œuvre les lois qui le régissent. Rien, aujourd’hui, ne justifie un appel à résistance. L’esprit de maquis n’est plus de mise aujourd’hui. Œuvrer pour toutes les populations n’est pas lutter contre l’État : c’est, tout au contraire, le servir.
Gardée à droite et à gauche, cette politique est-elle centrale, partagée par les deux groupesde partis de gouvernement ? Elle ne le serait que pour disparaître! C’est du reste en pratiquel’histoire des dernières années : on peut mesurer la conspiration du silence en observant le nombre de débats parlementaires consacrés à l’intégration depuis 1945 (zéro) ou le grand texte de loi auquel un ministre attaché son nom en la matière (zéro). Unanimité, en revanche,
18pour ne pas traiter directement la question, en préférant se consacrer en parole à la lutte contre les discriminations, portée par un discours constant à droite et à gauche depuis quinzeans sans jamais dépasser le stade des généralités inefficaces ; pour s’acharner sur les titres de séjour et la nationalité, pour lesquels on mobilise le Parlement tous les dix-huit mois en moyenne ; pour s’en remettre entièrement aux associations, en leur coupant cependant peu à peu les vivres et ne leur autorisant que des emplois au rabais.
Il est difficilement compréhensible qu’une politique aussi essentielle ne puisse être source de différenciation entre les partis acceptant sa nécessité. Il est en effet étonnant que des sujets aussi clivants que la part respective du droit et de la prestation, du rôle de l’État et des acteurs sociaux, de la décentralisation et de l’État, de l’initiative privée et de l’injonction publique, qui partout en toute matière différencie les camps, demeurent ici en jachère. Or nous avons besoin, collectivement, qu’on redonne à cette politique une assise clairement ancrée dans les valeurs des partis appelés à gouverner au gré des alternances. C’est la seule façon de tenir les débats délicats que le consensus occulte (comme, par exemple, l’actualisation de la laïcité) ; de mobiliser les populations, auxquelles il faut donner envie de voter (avant le droit de vote pour celles qui ne l’ont pas encore) ; de crédibiliser la parole publique, inaudible lorsqu’elle est enfouie sous les bons sentiments sans aspérités. Quelle est la part du collectif et de l’individuel, de l’État et de la société, du local et du national, du juridique et de l’action sociale ? Comptons-nous, et, d’abord, rendons-nous compte de ce que nous croyons. Nous le faisons pour l’école, l’environnement, la politique internationale, la défense, la santé. Si nous ne le faisons pas pour restaurer la fabrique de la nation, il faudra dire pourquoi.
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Où en sommes-nous?
La politique d’intégration est celle des défauts : défaut de doctrine ; défaut d’instruments; défaut de crédit; défaut d’acteurs ; défaut d’institutions. Du moins ne sera-t-on pas gêné par les structures et les élans venus du passé.
Qu’il n’y ai point de doctrine s’observe sans mal : la rhétorique partisane – des partis de gouvernement – ne débouche que sur peu de propositions, l’immigration dévore le champ. Cesilence reflète pour partie celui des intellectuels – les grands noms d’il y a vingt ans le demeurent, et leurs successeurs sont rares. On a cassé l’effort de recherche, en coupant les crédits et arrêtant les programmes. L’observation s’est arrêtée, l’analyse, l’évaluation, la comparaison, donc la réflexion, la théorisation, la prospective et la conceptualisation. Une politique intelligenterepose sur l’intelligence de la situation : elle nous échappe, désormais, et il faut le plus souventà nos meilleurs chercheurs aller voir ailleurs. La disparition d’une ambition scientifique réduit enconséquence le débat public à des propos de comptoir – ravageurs, réducteurs et trompeurs.
L’action d’intégration est désormais confiée à une administration centrale, la DAIC, dans un secrétariat général dont le titre indique qu’il serait à l’intégration – en fait aux flux migratoires et aux primo-arrivants, car à cela se résume la majeure partie de son action. Le grand partage opéré en 2008 – 2009 s’est fait aux dépens de l’intégration : le FAS, déjà émoussé par la réduction des crédits et dilué par l’extension de son objet à la lutte contre de vagues discriminations, a été alors interdit d’intégration, et la DIV interdite de toute action sociale : réduite à un famélique secrétariat général auxquelles se résument les services centraux de la politique de la ville, ses crédits ainsi que ceux du FAS et les personnels qui survivaient, sontpartis, après une réduction significative, à l’ACSE. Sur le terrain, les équipes ont fondu au seindes DRJSCS : le même agent est désormais interdit de toute réflexion sur la dimension propre de l’intégration, et prié de saupoudrer ses crédits au milieu du mouvement sportif et de la lutte contre la pauvreté ; notons aussi que l’hétérogénéité des statuts des agents publics tourne toujours au désavantage (en termes de salaires, de rang, et de stabilité) de ceux qui s’occupent d’étrangers. L’ANRU déploie ses équipes sur ses projets, aux côtés des collectivités territoriales, sans jamais pouvoir privilégier l’intégration, ni d’ailleurs pouvoir développer comme elle le voudrait un projet social. Enfin, hormis les rares préfets délégués à l’égalité des chances, aux moyens faméliques, et au rôle incertain, aucune préfecture ne se distingue dans ce domaine d’action – il peut arriver qu’on révoque un préfet pour un excès d’immigration, mais jamais pour un défaut d’intégration…
Les crédits se sont effondrés – sauf sur deux points : on dispose de moyens, encore, pour construire, alors qu’on sait cet effort vain si le social ne le précède, ne l’accompagne et ne le suit;et la dérive du coût de l’asile dévore toutes les marges de manœuvre. Pour le reste, la décroissancea commencé au début des années 2000, et au gré des réorganisations n’a cessé de s’accélérer.Il est malaisé de remonter au-delà de 2004, mais un chiffre rond est vraisemblable : en quinze ans, deux fois moins. Et deux fois moins de ce qui était déjà très largement insuffisant alors.
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On a au passage ainsi maltraité les acteurs – la mortalité associative a été grande. La généralisation des appels d’offres a éliminé toute appréciation qualitative fine des associationset fait disparaître les plus modestes. La disette financière a déstructuré les réseaux associatifs avant de les détruire. Combien ont sombré ? Sans doute la moitié. On voudrait être sûr que le contrôle accru que permettent les appels d’offres a éliminé les plus mauvais, et que les survivants sont tous les meilleurs – mais on peut en douter. La dilution de la présence publique dans le secteur, l’absence d’étude et de suivi rendent impossible de dépasser les impressions en la matière.
L’une des graves conséquences est qu’à la classe creuse des chercheurs répondent les classes creuses des fonctionnaires et agents publics et les classes creuses des militants bénévoles et des dirigeants associatifs. On a découragé, pas seulement passivement, les meilleurs de s’investir. Une génération de relève nous manque ou est trop clairsemée. Ceux qui auraient été les cadres, les élus, les référents, n’ont pas été appelés à servir, ni l’État, ni la société. Recréer ce tissu humain est un urgent préalable.
Hormis le tour de bonneteau convertissant le FAS et la DIV en DAIC et ACSE, et les appauvrissant au passage, les structures institutionnelles sont restées en jachère. Trente ansaprès la décentralisation, dont les vagues successives ont transféré aux collectivités territorialescompétences, agents, et, en moindre mesure, crédits, on n’a pas trouvé le temps de réfléchiraux modalités de conduite de la politique d’intégration dans la République dont la Constitution clame que l’organisation est décentralisée. Pour conduire une action et mobiliser les financements publics, combien d’acteurs? Le préfet (ou son représentant) et la collectivité territoriale ? Certes pas! Le préfet, et les services qui sont censés être sous ses ordres, ce qui
20multiplie par trois ou quatre le nombre de centres de décision, en y ajoutant en outre ceux qui ne sont pas sous ses ordres – justice, et éducation ; les trois ou quatre (en comptant l’intercommunalité) niveaux d’administration locale des collectivités territoriales, eux-mêmes, évidemment, aux services multiples ; les opérateurs essentiels, nationaux ou locaux – la caisse d’allocations familiales, l’office public de l’habitat, etc. À moins de vingt, la réunion n’est pas sérieuse. Et si un seul fait défaut, l’action n’a pas lieu. On a unifié les procédures, c’est-à-dire qu’on les a réduites à une au sein de chaque acteur (en principe) ce qui n’a guère eu d’effet.
Qu’on n’en conclue pas que tout est devenu noir – rien n’a jamais été rose. C’est précisément ce qui est préoccupant : un appareil administratif imparfait, incohérent, peu efficace, mal contrôlé, a été privé de ressources, déconstruit et désarticulé. On a asséché ses ressources, d’abord humaines. Et face à l’État, l’on a toujours pas pensé la décentralisation, et l’on a mis en jachère le champ associatif qui avait été épargné par les restrictions budgétaires.
Comment mesurer le résultat ? Il n’existe de toute façon pas de politique, donc pas d’objectifs,donc pas d’indicateurs et pas de résultats mesurables. Donnons comme gage à ceux qui décrientla politique d’intégration que leur détestation repose sur un fait, bien que nous divergions quantà ce qui le motive : la société n’est pas clémente à ceux qu’elle appelle étrangers, et trop souvent ils clament en retour malaise ou détestation. On sent confusément, que la machine sociale halète, cahote et tangue. Si, n’en déplaise aux commentateurs, la violence régresse, plus gravessont les symptômes sociaux – santé, déstructuration familiale, repli identitaire, ségrégation de fait. Il ne faut pas généraliser. Mais nier serait dangereux : nous intégrons, mais trop peu; et quand la machine s’emballe, la progression des ratés est rapidement géométrique. Il faut donc redresser la barre.
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Que doivent être les bases
de la nouvelle politique d’intégration?
Les propositions doivent en effet reposer sur une armature doctrinale qui les situe au regard d’objectifs et de référence permettant de les assumer dans la durée. Il y a eu en vingt ans troisplans Marshall dans les banlieues, plusieurs “renforcements” de la lutte contre les discriminations.La crédibilité de ces annonces est décroissante et sera bientôt nulle. Il n’y aura pas une deuxièmeRefondation. Elle doit être opérée pour vingt ans, et ne pas apparaître comme l’un de ces plansannoncés à grands coups de conseils de ministres et visites sur le terrain : par décence envers nosconcitoyens, posons des fondations sûres avec honnêteté, c’est-à-dire en assumant nos erreurs, en expliquant nos incertitudes, et en ne transformant pas nos espoirs en promesses.
Dix axiomes sont proposés au débat pour forger une doctrine durable.
~ Aborder la question est d’abord affaire de posture, de situation, d’orientation. La politique aura la teinte, la nuance, et l’âme du discours et du regard qui la portent. Elle a souvent été terrorisée – par le péril migratoire –, pleurnichante - par une compassion mal placée –, coupable – un sanglot de l’homme blanc –, maladroite – masquant la suspicion et le dégoût derrière les sourires et les bonnes intentions.
La Refondation doit faire de l’objectif – une société inclusive – l’objet d’un discours sûr, fier, conquérant, réaliste, confiant, et, risquons-le, joyeux.
Nous sommes une grande nation – on nous le reproche d’ailleurs avec envie. Les étrangersque nous aimons le mieux, les touristes, lui rendent cet hommage avec constance. Nous nesommes pas un musée, mais une puissance, qui tient debout malgré son histoire autant que grâce à elle. Nous ne sommes ni les plus riches ni les plus raisonnables, ni les plus modernes, mais on dit : heureux comme Dieu en France. Nous sommes ainsi parce que la puissance du lieu et du temps nous ont rendu tels, par un creuset alchimique sans pareil, qui fait un français de celtes et de francs, comme de romains, d’Ibères, de grecs, et de toutes les origines méditerranéennes – grâce aux maghrébins géniaux qui structurent notre culture, comme Saint-Augustin – et nordiques, – l’unité nationale c’est beurre et huile d’olive, oc et Oil, Jeanne d’Arc et Saint-Just, Henri IV et Clémenceau. Et ce pays-là aurait peur, parce que quelques dizaines de milliers de nos frères de race accourraient d’Asie, d’Afrique et d’Amérique, pour continuer cette histoire et y prendre part ? O quelle piètre idée de notre génie et de nos pouvoirs, quel rapetissement de la France, quel rabougrissement de son âme généreuse ! Toute personne qui passe nos frontières est bienvenue – qu’elle visite ou qu’elle séjourne ; toute personne qui passe nos frontières est sous la protection de la France. Ne comptons pas pour rien que les plus miséreux, dans leurs rêves infinis, pensent que la France est le seul lieu de leur réalisation.
Bien sûr, notre place dans le monde ne se mesure pas à nos richesses – elles sont limitées, et ne permettent pas, aujourd’hui de revenir à la pleine ouverture des frontières (qui fut, quand même, l’état du monde durant les quarante siècles précédents le 19e…). Il est
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légitime de réguler l’immigration, et la question n’a pas à être traitée ici. Mais celle qui vient, qui participe à notre vitalité et notre grandeur, nous pouvons, et même devons la prendre en bonne part! Nous en avons tant vu, par le passé, que rien – rien – ne peut nous détruire, ou nous affaiblir. Nous sommes la France, pays fier, sûr de lui, qui n’est plus dominateur: cela nous permet d’être, face à ceux qui viennent, d’abord, bienveillants. Fermes, rigoureux, exigeants, mais bienveillants.
~ La politique à conduire est une politique sociale.
Ce n’est pas la politique d’immigration, qui défend l’ordre public sur le fondement des normes internationales et de ses choix de leur mise en œuvre. Ce n’est pas la défense du droit, ni à notre profit, en rappelant l’étranger à ses devoirs, ni aux siens, en subissant des revendications, ou en saisissant le juge de violation de règles. Ce n’est pas une politique qui cherche des dérivatifs dans le béton, dans la rumination du passé et des valeurs (qu’en général ne partagent que ceux qui les invoquent).
C’est une politique sociale : elle vise à apporter à chacun, selon son besoin, équitablement, les outils, les appuis, qui corrigeront les dysfonctionnements sociaux ; elle vise à accompagner la transformation sociale permanente que notamment, les flux migratoires (comme la mondialisation, la technologie, le progrès médical, l’évolution des mœurs, etc.) génèrent en permanence. La société bouge et nul ne peut arrêter le temps (même si, commele répètent les conservateurs depuis quarante siècles qu’ils écrivent, c’était mieux avant) : le devoir de l’État est de faciliter les choses et de garantir l’équité. Celle-ci résultera nécessairement d’une politique sociale. Sociale ne veut pas dire pour autant prestations, ou assistance : mais effort collectif, travail patient, règles nouvelles visant à compenser,
22réparer, faciliter; aide et solidarité, accompagnement par des travailleurs sociaux spécialisés, mutualisation, interaction des acteurs sociaux. En aucun cas, discours martial, forces de l’ordre, sévérité gratuite et stigmatisation.
Sociale veut dire aussi: travail sur l’humain, fragile, lent, aux résultats inégaux et parfois imprévisibles, exigeant tact et adaptation. Rien, on le voit, qui convienne aux effets d’annonce: patience, longueur de temps, ni force, ni rage.
~ Cette politique plus que tout autre repose sur un devoir d’intelligence.
Sous prétexte que ces sciences sont humaines, il est aisé de se laisser aller à croire qu’elles sontà la portée de chacun comme la prose de Monsieur Jourdain. Il n’en est rien, et le terrain est minéde vérités d’évidence, qu’un peu d’études scientifiques suffit à démentir. En période de tension,de désespérance, et de ressources rares, il ne faut pas se tromper de cible, car nous ne pourronsguère avoir de deuxième chance. Sachons qui pénètre sur notre territoire – l’immigration commence à être plutôt asiatique, pourquoi demeurer obsédés par l’islam et les maghrébins ? Lesvieux sont une urgence sociale, pourquoi tout focaliser sur les jeunes délinquants? Il y a uneforte présence des publics que nous visons en milieu rural, pourquoi ne parler que des quartiers?La fécondité et la pratique religieuse décroissent, pourquoi redouter un choc démographiquemusulman ? Les races n’existent pas, pourquoi continuer à en être obsédé ? On n’en finirait pasde démentir les intuitions. La politique doit reposer sur une connaissance et une anticipationdes phénomènes. Ce qui se passe doit être analysé, suivi, compris. Après le temps de l’observation, doit venir le temps de la conception, reposant sur le retour d’expérience, la transposition, l’échange. Ceci doit aboutir à l’expérimentation, et à son évaluation. Enfin la généralisation de politique doit toujours être accompagnée par une force critique indépendante.Le lieu de tous ces savoirs existe, c’est l’université, il faut reconstruire sa capacité à être le laboratoire et le bureau d’études sociales, l’agitateur d’idées et le créateur, dont nous avons besoin.
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~ Plus qu’ailleurs la puissance publique doit tenir un discours de franchise, sans lequel nous ne nous réconcilierons pas entre nous, ni ne saurons vivre avec ceux qui viennent. Il faut cesser de dissimuler les vérités et dire à nos compatriotes comment sont les choses. Par exemple, nous ne maîtrisons pas, – et, ajoutons-le, heureusement, car ce serait indigne ! – les flux migratoires pour les deux tiers d’entre eux: le regroupement familial est un droit dérivé des principes universels de dignité et de liberté, l’asile politique est un devoir et un honneur pour nos traditions. Par exemple, nous n’expulsons pas les clandestins dans une immense majorité de cas – parce que ce serait indigne ou parce que c’est matériellement impossible. Par exemple, les immigrés rapportent bien plus qu’ils ne coûtent – ils cotisent, paient des impôts. Par exemple, nous n’acceptons jamais de compromis (ou nous cesserions d’être nous-mêmes) sur la liberté, notamment celles des femmes, etc. Une fois la vérité atteinte, aussi désagréable soit-elle, encore faut-il choisir son camp, et maintenir une action en cohérence avec les valeurs qu’on défend. Qu’on ait le courage de se présenter devant le suffrage universel avec son drapeau et ses choix, car à ce prix seulement se restaurera une crédibilité qui stérilisera celle des extrêmes et rendra aux populations concernées le goût d’adhérer aux actions publiques.
~ L’État doit s’en tenir à ce qu’il sait faire: dire l’objectif, donner le cadre, contrôler et garantir,offrir les ressources qui ne peuvent exister qu’à son niveau, et surtout pas agir avec toute samasse ; la finesse et l’agilité locales sont nécessaires. Il doit préférer les agences, qui offrent par leur autonomie et leur spécialité, des garanties : celle d’une indépendance nécessaire pour éviter les à-coups trop partisans, celle d’une continuité au-delà des priorités gouvernementales changeantes. L’État ne peut agir sur le terrain au plus près des situationssociales que de deux manières : en exigeant que ses services publics intègrent la dimensionintégration dans leur action, ce qui ramène son rôle essentiel à la capacité de définir une telle politique ; en donnant la liberté requise aux acteurs territoriaux pour concevoir, adapter et conduire les actions nécessaires, qu’il serait vain de vouloir modéliser au niveau national pouren faire une politique globale horizontale et massive – qu’on serait bien en peine de préciser au-delà des incantations. Le ministre en charge de l’intégration ne doit – car il ne peut – escompter attacher son nom à une loi ou un dispositif magique ; en revanche, il peut de sa constance, de son obstination, de son courage, rappeler sans cesse que l’on doit et qu’on peut construire cette société inclusive ; et de cela on gardera mémoire, avec celle de son nom.
~ Le discours fier, assuré, décomplexé, qu’il faut tenir globalement, doit, quand il s’agit d’agir
– pour accueillir, traiter, reconduire, intégrer, protéger, interdire, proposer, former, loger…
– être un discours, un miroir, humaniste, et le fondement même demeuré tel de chaque action : en face de nous, peut-être de futurs citoyens, des compatriotes, des étrangers, desdemandeurs, qui parfois se sont mépris, parfois veulent nous tromper, plus rarement maisparfois aussi nous menacer, soit ; mais toujours, en premier lieu, des êtres humains. Aucune fermeté, aucune rigueur, pas plus qu’aucune pitié, ni aucune compassion, n’auront le moindre succès si elles ne reposent sur le respect, la générosité, la présomption de confiance, et, à nouveau, la bienveillance.
~ Mais il va de soi que cette attitude doit être générale – envers la population présente sur notre territoire. À tout instant, la politique à conduire ne peut conserver sa légitimité et entraîner la société tout entière que si celle-ci, notamment dans ses franges les plus vulnérables, partage le sentiment d’être respectée par la puissance publique, et que celle-ci agit avec équité. À tout instant chacun doit pouvoir vérifier que rien n’est fait en faveur des étrangers ou réputés tels qu’il ne le soit aussi pour ceux qui ne le sont pas. Parler de l’accès à l’emploi des jeunes “issus de l’immigration” est vital, tant leur poids sur le chômage
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est important par conséquence des discriminations dont ils sont l’objet, mais ce ne peut être qu’en précisant d’emblée, en vérifiant et en rendant vérifiable, que tout jeune en recherche d’emploi est, toutes choses égales par ailleurs, aidé de la même manière ; la priorité d’accès au logement doit être adaptée, mais pas réservée ; l’offre de formation ou de socialisation, de même. Les inégalités dont souffrent le plus les plus modestes ne sontpas celles résultats des écarts de revenus de un à vingt – mais celle de 1 à 1,01, tant ellesparaissent injustifiées, à égalité de souffrance et de relégation. Le terreau de l’extrémisme n’est pas dans la méchanceté innée de ceux qui portent vers lui leurs suffrages : il est souvent dans le désarroi de celui (qui est souvent d’origine étrangère, aussi) qui s’en est sorti, a subi un accident, voit ses enfants peiner, et dont les efforts ne sont pas récompensés, et qui, s’épuisant, peut croire qu’à côté de lui, un homme en djellaba sera mieux reconnu, plus aidé, et davantage secouru que lui. Ce n’est pas vrai, mais il faut le démontrer, le garantir, et y penser.
~ Ce dont l’État est le premier débiteur est donc la transparence dans ce qu’il fait: en parler toujours, en parler encore, ne jamais cesser d’en parler, en montrant tout, crédits, actions, résultats, échecs, déboires. L’accès aux documents administratifs est déjà large, il faut le populariser davantage ; il faut plus de transparence sur les informations – les données élémentaires, les demandes, les réponses, les rapports. Dissiper les fantasmes, éviter queles médias les transportent et les rapportent, suppose qu’on dise d’abord tout. Sachons qui entre, comment, pourquoi ; combien on régularise, ce qu’on donne, ce qu’on exige…
Cette transparence doit avoir un prolongement, qui est le partage du pouvoir. Les populations concernées sont aptes à participer à leur destin – à qui en doute, proposons-lui
24de mesurer ce que peut exiger d’ingéniosité, de courage, d’endurance, de capacité de résistance et d’organisation, de fermeté d’âme, de quitter un pays, une famille, une culture, une patrie, en s’en remettant à des passeurs qui peuvent les dépouiller, à des filières incertaines, pour venir, à tout risque, dans un pays inconnu, n’en déplaisent aux clichés, vivre à la dure, accepter les emplois les plus pénibles, subir la vindicte et le rejet et n’avoir pas même le droit au secours de sa foi ! Tous peut-être ne connaissent pas ce parcours, mais souvent leurs pères et leurs mères l’ont connu – et puis même si ce n’est le cas : ils sont ici, régulièrement, français à part entière ou aptes à le devenir: comment leur refuser le droit à la parole pour concevoir avec nous et parmi nous les moyens d’élargir la nation et la société pour les inclure autant que nous ? C’est le sens même du projet visant à donner aux immigrés séjournant en situation régulière le droit de vote aux élections locales, mais on pense aussi ici à la participation via les associations, les syndicats, et toute forme de démocratie directe, permettant d’impliquer les populations concernées dans les décisions qui s’adressent à eux.
~ Il est difficile de viser les publics, car les désigner les stigmatise, les identifier objective le fantasme de la différence et le cristallise. Il faut désormais viser les territoires où la dimension d’extranéité des populations est la source des difficultés sociales. La politique à conduire sera donc territoriale – ce qui entraîne des avantages et des conséquences. Le premier avantage est de rendre la politique possible, sortant du dilemme “nommer pour stigmatiser/nepas désigner pour ne pas traiter”. Le second est de la rendre cohérente avec les politiquesanalogues, de la ville, du logement, de l’éducation, et de renforcer les effets. Le troisième estd’en assurer complètement l’équité – en visant un territoire on visera tous ses habitants etnon une fraction désignée par sa peau ou sa religion. Quant aux conséquences, elles sontsimples : la politique incombera (comme elle incombede facto déjà) aux collectivités territoriales,
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dont il faut refonder entièrement l’implication. L’État demeurera le porteur du discours de principe, l’apporteur de l’expertise des ressources, et le garant de la trame nationale que l’école, la justice, l’ordre public, entre autres, permettent de construire, apportant également l’expertise et les ressources de ses agences spécialisées à cette fin.
~ Ce sera long, lent et compliqué, mais nous réussirons.
Personne – et autant l’avouer d’emblée surtout pas l’auteur de ces lignes – ne sait exactement ce qu’il faut faire pour réussir. Chacun, qui accepte l’autre comme un frère, un voisin, ou un concitoyen, porte une partie de la réponse. Les dynamiques sociales ne s’usinent pas comme des mécaniques de fer, les êtres humains ne se règlent pas comme des automatismes, et l’action publique est un artisanat qui a souvent des effets imprévus, pervers ou vertueux. Il faut entreprendre, avec confiance dans l’issue, car le génie français est celui-là – fusionner les coutumes, les territoires et les passés, en bougonnant et en blâmant l’État au sein duquel on espère pourtant servir et dont on attend protection. Il faut avoir la détermination d’agir, la souplesse requise pour s’adapter, l’honnêteté de reconnaître nos échecs, et la persévérance de poursuivre. L’État devra être prudent, mais son élan puissant et durable. Il devra dire combien lent et tortueux et multiple sera le chemin d’une société inclusive – mais réaffirmer que nous l’empruntons, d’une parole brève, claire, sereine, et bienveillante. Il faudra beaucoup expérimenter, sortir de la culture du jardin à la française – ne pas traiter les Turcs Alévis d’Alsace comme les Cap Verdiens de la Somme ou les Mongols installés en Bretagne, et, sousprétexte que tous doivent finir par être français, faire de l’égalité une impuissance de principe– puisque rien n’est égal, rien ne serait possible. L’égalité est celle que promet la République : une égale liberté de vivre, à laquelle elle prêtera sa force pour que chacun en acquière la capacité, selon les lieux, les moments, comme le dit notre déclaration commune, selon ses vertus et ses talents. Éviter que les lendemains déchantent, dans six mois, suppose qu’on prévienne que les lendemains sont dans cinq ou dix ans et qu’on accepte soi-même, ministre ou maire, de reconnaître et discuter tous les échecs.
Ce sera long lent et compliqué, mais nous réussirons.
Ceci n’interdit pas, avant de proposer les voies de la transformation sociale qu’on suggère d’expérimenter dans la troisième partie, qu’on propose aussi les signaux – vigoureux, sonores, et cependant bien réels – d’un nouveau cours : des gestes de confiance, des postures symboliques d’un renouveau, des apaisements, des concessions, pour reconstruire, des amorces d’ambition, illustrant clairement les dix principes qu’on vient de décrire.
LA GRANDE NATION POUR UNE SOCIÉTÉ INCLUSIVE |
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2e parti
Rendre confiance: 27 Les gestes fondateurs d’une ambition |
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On propose ici au débat des gestes symboliques, qui souvent n’ont pas de portée pratique considérable ou ne coûtent rien au budget de l’État, mais dont la force peut être le témoignage d’un changement radical de climat, quittant l’atmosphère de crainte, de suspicion, de mépris, réels ou supposés, qui dégradent profondément le climat public et rendent illusoire tout appel à la raison. Il est vain d’appeler chacun à ses droits et devoirs, si la République ne commence pas par assumer pleinement les siens.
La vérité des flux maintenant
Le débat politique est impossible quand les données en manquent. On l’a vu au cours des quarante dernières années pour les données du chômage, la contestation ayant enfin pu se porter sur les politiques le jour où on a cessé de croire que les chiffres communiqués changeaientavec l’orientation du gouvernement, qui pouvait à sa guise en manipuler le sens et les données.La même querelle ne s’apaise que lentement en ce qui concerne la délinquance, et l’on pourrait multiplier les exemples de faux débat dus à des données imparfaites ou suspectes.
En ce qui concerne les enjeux de l’intégration, la situation est encore plus grave. N’importe quipeut, s’affranchissant de toute rigueur scientifique, soutenir à peu près n’importe quoi quant auxflux migratoires et quant aux perspectives d’évolution qu’on en peut tracer. Mais surtout on débatde façon radicale et violente sur des orientations – régularisation, ou reconduite à la frontière, acquisition de nationalité, et octroi de titres divers – sans jamais mettre d’abord sur la table la chronique de ce qui s’est passé et de ce qu’on a fait. Pourtant, des statistiques scientifiquement élaborées et indépendamment communiquées, assorties de commentaires impartiaux et objectifs, permettraient de mettre fin à de nombreuses illusions et aux propos démagogiques quiles exploitent. Par exemple, la reconduite à la frontière a en général pour source des contrôles dela route et non la veille à la frontière qu’on imagine être la politique de lutte contre les clandestins. Et la reconduite à la frontière, heureusement de mieux en mieux encadrée par le droit, est proportionnellement rare, difficile, pour des raisons qu’on décrira plus bas, et dans lesquelles l’État a les responsabilités les plus larges, quelle que soit la majorité au pouvoir. Par exempleencore, l’immigration est principalement européenne, et très minoritairement maghrébine ; par exemple, elle est aussi très minoritairement de confession musulmane...
Il est impératif de placer au plus vite le débat sur l’intégration sur des fondements sains. On ne peut laisser le faux bon sens et l’intuition immédiate élaborer des hypothèses absurdes ou des politiques imaginaires. L’opinion publique, et donc les partis politiques, doivent se positionner au regard de faits scientifiquement établis permettant de choisir au regard de la réalité et non des fantasmes. À cette fin, le Haut conseil à l’intégration (HCI), rapproché, pour acquérir une plus grande indépendance du Parlement, selon des modalités qu’on décrira plus bas, doit recevoir comme première mission – qui était d’ailleurs historiquement la sienne lors de sa création – d’établir selon la périodicité qu’il définira lui-même, et au moins annuelle, les chiffres des flux migratoires. En s’appuyant sur les établissements français comme l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et l’Institut national d’études démographiques (INED), en mobilisant pour exploiter et formater les données administratives les ressources des universités françaises, en mettant en place la critique scientifique et l’audit de ses méthodes, par un réseau de chercheurs nationaux et européens ou internationaux, il doit ainsi pouvoir fournir non seulement les données essentielles mais aussi des éléments permettant leur interprétation raisonnable.
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On doit ainsi pouvoir disposer des chiffres du regroupement familial, de l’immigration de travail,des titres délivrés à fin d’études, des régularisations opérées, de l’asile accordé, ou de la protection subsidiaire, du sort des personnes auxquelles un titre a été refusé, de façon à ce queà chaque instant, nous puissions connaître l’origine géographique, les mutations des flux, leursens aussi bien quant à l’entrée qu’à la sortie du territoire, pour estimer les efforts qui sont nécessaires tant pour prévenir l’immigration irrégulière que pour mieux accueillir celles qui, tellescelles opérées au titre du regroupement familial ou de l’asile politique, sont légitimes et doiventêtre mieux organisées dès le passage de la frontière en vue d’une bonne intégration ultérieure.
On verra alors ce que savent bien tous les gouvernements quoi qu’ils en disent : la plupart des flux migratoires échappent à toute politique visant à les réduire ou les augmenter; la plupart des clandestins, dont la part est irréductible, finissent par être régularisés ; les flux migratoires vont dans les deux sens, c’est-à-dire que beaucoup d’immigrés repartent, de leurplein gré, – et pour ceux-ci,il serait tout de même préférable, dans un monde globalisé, qu’ils le fassent en ayant une autre image de la France que celle d’un guichet renfrogné, ayant chichement mesuré le droit au séjour, suspecté les motifs de celui-ci, et manifesté de l’enthousiasme seulement au moment du départ. Être l’un des principaux lieux de formation des élites du reste du monde devrait pourtant être pour nous une ambition cardinale.
Français naturellement,
par l’école ou les enfants
L’acquisition de la nationalité française est devenue une obsession nationale, d’autant plus qu’on ne parvenait plus à identifier la nation dont on voulait délivrer le titre d’appartenance. D’autres ont beaucoup mieux dit l’histoire (récente, bien plus que la France) de la nationalité, étroitement liée pendant un temps (et pas pour le meilleur) au nationalisme dans ce qu’il a pu avoir de plus dangereux.
Au regard de l’intégration, pourtant, la nationalité n’a de vertu que relatives : on peut s’intégrer parfaitement sans acquérir la nationalité, comme le montrent les innombrables résidents ressortissants de l’Union européenne ou non, durablement installés en France, gardant leurs langues, leurs habitudes, leur cuisine et leur religion, sans jamais nous poser le moindre problème – dotés d’un emploi, d’un logement, de diplômes, il est vrai. Historiquement, la nationalité n’a jamais joué un rôle majeur pour la première génération, celle des immigrés àproprement parler – sait-on assez que deux tiers des immigrés italiens n’ont jamais acquis lanationalité française ? Qu’on y songe un instant, qui d’entre nous, durablement installé horsdes frontières, aimant le pays d’accueil et de travail, y choisissant même d’y passer ses vieuxjours et d’y mourir, renoncerait pour autant aisément à sa nationalité ? En revanche, notre droitdu sol rend aisée l’acquisition de la nationalité pour ceux qui sont nés ici. Reste que l’acquérirouvre des droits, et constitue un symbole : il est normal d’en faire un seuil, un passage, maissans en grossir la portée, sans exagérer le moment. Il est légitime de vérifier qu’on n’introduit pas en son sein un ennemi de la nation, et que le nom de français est reconnu à quelqu’un qui peut, répondre à la définition qu’on peut en donner. Et c’est bien là que commence la difficulté – qu’est-ce qu’être français ? Le tort que nous avons eu (identitaires et
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différentialistes réunis) est d’en faire une question de mœurs – alors que, fort heureusement, l’État de droit républicain qui est le nôtre ne s’occupe jamais de mœurs, une fois les limites de l’ordre public définies, de façon proportionnée. Être français c’est exercer des droits civiques : comprendre le débat public et être apte à y prendre part, sur la base donnée par la volonté générale. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les principes particulièrement nécessaires à notre temps de 1946, pour les valeurs et principes, la Constitution pour les règles. C’est tout. Comme la souveraineté de pareille nation ne s’exerce pas à la légère, en passant, il est normal qu’on demande à qui veut l’incarner d’avoir séjourné un certain temps et mesurer ainsi à quoi il s’engage – exercer son suffrage avec discernement, contribuer au moins par l’impôt, si possible par un engagement civique – associatif, syndical, partisan, ou comme fonctionnaire – au fonctionnement de la République. Rien d’autre.
L’acharnement mis à durcir, réduire, et compliquer l’accès à la nationalité est incompréhensible : s’il contribue à intégrer, voire atteste de l’intégration, pourquoi l’empêcher ? Si, au contraire, la nationalité ne suffit en rien à garantir l’intégration, pourquoi sans cesse s’y intéresser et s’acharner à réécrire les règles ? Surtout, pourquoi contredire par des conditions d’octroi minutieusement restrictives les assertions de principe qu’on assène sans trêve?
Oublions un peu la nationalité – laissons-la à des règles claires, adéquate à son objet, et pérennes, uniformes. Posons, pour commencer, trois gestes simples, qui ramèneront la sérénité en restaurant la confiance dans le cheminement vers l’appartenance à la nation et la confiance envers ce qui y conduit.
Posons d’abord par la loi l’interdiction faite à l’administration de prendre aucune instruction – officielle ou officieuse – commentant, enrichissant, complétant la loi, en matière de nationalité, qui n’ait été soumis au préalable à la publication du projet, pour un temps suffisant de discussions publiques, et à l’approbation de la commission parlementaire compétente qui veillera à ce qu’elle n’ajoute ni ne retranche rien à la loi telle qu’elle a été votée. Et espérons qu’il sera ainsi en fait renoncé à toute circulaire ajoutant abusivement à la loi, en la matière, comme si les fonctionnaires ne pouvaient appliquer une loi simple et claire énonçant les critères d’accès à la nationalité.
Puisque la nationalité est présentée et ressentie comme le signe d’une parfaite intégration, donnons-la, en vertu d’une simple déclaration, à tous ceux qui auront suivi une scolarité complète, du primaire à seize ans et plus, quelles qu’aient été les conditions de leur séjour. On ne peut soutenir que l’école de la République intègre et imposer aux jeunes qui l’ont fidèlement fréquentée que l’irrégularité de leur séjour fait obstacle à la délivrance d’un titre d’identité. Quiconque a passé autant d’années à l’école peut par définition français : donnons-en acte.
On devient français aussi en donnant des filles et des fils à la patrie – on ne sait pas meilleure façon de marquer son attachement que de vouloir que ceux qu’on élève deviennent et demeurent français. Là encore, les ascendants de Français, séjournant en France depuis longtemps (vingt-cinq ans, par exemple) devraient pour ce seul motif pouvoir devenir français, à peine, pour nous, à défaut, de paraître nous attacher à persécuter jusqu’à leur dernière heure des parents, souvent des veuves ou des mères isolées, pour lesquels la France est tout, et, d’abord, leur famille. Ces trois gestes simples – le serment légal de cesser d’aménager en tous sens le droit de la nationalité pour en restreindre et compliquer l’octroi, l’acquisition de la nationalité pour les enfants scolarisés et les vieux parents de Français – démontreraient que nous avons compris que les étrangers qui séjournent en France et auxquels nous refusons sans
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motif légitime, la nationalité qu’ils demandent ne partiront pas – et resteront, amers, désillusionnés. La nationalité n’est pas un mode de gestion des flux migratoires. Elle est unereconnaissance, une dignité, que définissait assez bien le constituant de 1793 : “Est Français toute personne qui adhère aux valeurs de la République”.
Quant à ces valeurs, au regard de l’islam – puisqu’on devine que telle sera l’objection, n’ayons aucune crainte. Aucune religion pratiquée sur le territoire ne menace la République, restons sérieux, inutile donc que la République la menace!
Honneur aux braves
Quand le sang a coulé pour la France, que le combat fut juste ou le fut moins, il était rouge,et noirci au soleil, quel que fût la couleur de la peau. Aucun de ceux qui avaient revêtu notre uniforme – zouaves et turcos, spahis et tirailleurs sénégalais, goumiers et bataillons coloniaux, de marche, indigènes, et autres – n’avait demandé que la France vînt prendre leurs terres, ni que leur peuple s’unît aux nôtres. Quand il a fallu des poitrines à opposer aux baïonnettes du kaiser, et à la ferraille nazie, ils furent pourtant là, volontaires, conscrits, appelés. Ils sont morts pour la France un peu partout – ils y ont cru, souvent, autant ou parfois plus que nous, s’attachant aux légendes que nous avons ensuite abandonnées, parfois en les trahissant. Honneur aux braves, donc.
À leurs descendants, aux survivants aussi, nous devons montrer et notre souvenir, et notrerespect. De criantes injustices avaient été commises, elles ont été réparées, en restaurant la parité des pensions un temps cristallisées, et en rouvrant en Afrique du Nord les services nécessaires. Quelques gestes simples demeurent cependant encore possibles et s’avèrentnécessaires, pour replacer le patriotisme à sa juste place, qui n’est pas celle, au parfum aigre, des caves où se souvenir en tremblant de la France du maréchal, mais celle, centrale et lumineuse, de notre souvenir partagé.
Réaffirmons donc que l’impôt du sang a ouvert une créance aux combattants qui ne s’éteintqu’à leur mort. Dans bien des pays, essentiellement africains, l’état de santé des pensionnés,très âgés, s’aggrave, du fait de leurs invalidités de guerre autant que du temps qui passe. Il leur est difficile, à supposer qu’ils les connaissent, d’établir leurs droits corrélatifs. Mettons en place une information adéquate, ici bien sûr, mais surtout là où ils résident, aux périodesoù ils viennent, dans nos consulats et ambassades, chercher leur pension et la consultation médicale qui permettra d’établir les bases d’une augmentation des pensions en cas d’aggravation, autant d’ailleurs que de soigner et soulager leurs affections nouvelles.
Rappelons-nous ensuite leur nom. On se souvient du succès populaire que connut la mise en ligne du livret militaire des morts pour la France en 19 14-18. Il est aujourd’hui possible de collationner et d’ouvrir au public ceux des 8,5 millions de soldats qui ont servi en pendant la Première guerre mondiale. Créer sur notre sol la curiosité pour nos ancêtres sous les drapeaux, est-il meilleur moyen de montrer que nous partageons, comme le clamait une affiche de 1940, quelles que soient nos couleurs, un seul drapeau?
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Les tombes de ceux qui moururent sous les armes furent disséminées partout sur la terre, il en fut au Mexique comme en Nouvelle-Calédonie, auVietnam et partout en Afrique. Le reflux de la présence française a souvent mis fin à l’entretien des cimetières et des sépultures, conduisant paradoxalement à un oubli dans leur terre natale autant qu’ici. Il doit être possible, à ceux dont la tombe n’est plus, de rendre un hommage, ici même, sur le sol qu’ils défendirent, et d’où partirent les ordres pour les expéditions, en Cochinchine et au Yucatan, Madagascar et aux confins désertiques, qui leur furent fatales. Graver leur nom sur un mur du souvenir, qu’on érigerait en un des lieux nombreux où leur héroïsme, sur le sol national, en fit à jamais non seulement nos frères d’armes, mais aussi nos héros, serait une manière de graver dans notre paysage – dans notre conscience nationale – ce simple message de reconnaissance: quelle que fut la cause que nos armes prétendaient servir, du moins méritent-ils bien de la patrie. Que l’hommage soit rendu en présence des musiques, drapeaux, et uniformes de nos soldats d’aujourd’hui, montrerait aussi le profond attachement de notre armée aux illustres anciens de toutes confessions et de toutes origines, et cesserait de faire croire que là où nos armes servent encore, ce n’est que contre des pratiquants de l’islam.
Ces hommages là, pour symboliques qu’ils soient, apaiseraient bien des cœurs. L’État ne peut laisser à un film, à une association ou à des artistes, la tâche de payer ses dettes. On commencera à le croire, parmi les descendants des combattants, quand il aura seulement dit: honneur aux braves – à ces braves-là, autant que tous les autres, sans privilège, mais sans oubli.
Pour la dixième et dernière fois,
achevons de rénover les foyers
et laissons les immigrés vieillir en paix!_____
L’auteur de ces lignes a commencé à s’intéresser à la situation des immigrés en participant en 1988 à la rédaction du rapport Consigny sur la nécessité de rénover les foyers de travailleurs migrants. En vingt-cinq ans, tous les gouvernements ont avec plus ou moins de sincérité tous arrêté ou confirmé un plan de rénovation. Il est inachevé, vingt-cinq ans après, à 50 %.
Le logement spécial pour immigrés consiste en des surfaces inférieures à ce que la décence commande, localisées dans des immeubles situés à l’extrême périphérie des grandes cités, avec des équipements collectifs dégradés. En échange, on y paye un loyer qui, partout ailleurs, permettrait d’occuper un grand logement social. Si les associations gestionnaires, comme d’ailleurs l’ancienne Sonacotra devenue ADOMA, ont fait des efforts remarquables pour corriger la situation, et créer des résidences sociales, pour certaines médicalisées, qui ont mis fin à des scandales récurrents, il demeure inacceptable et honteux, comme la visite de quelques foyers suffit à l’établir, que la moitié du parc reste dans un état d’insalubrité.
Le scandale est d’autant plus grand que l’on sait ce qu’il faut faire, que les ressources en existent, et que les victimes en sont le plus souvent des personnes âgées, anciens combattants, décorés, pensionnés.
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Il ne faudra évidemment pas maintenir des foyers de travailleurs migrants, et leur conversion progressive en résidence sociale, sas entre le logement d’urgence et le logement social ou de droit commun, reste un objectif. En attendant, les occupants existent, ont fait leur vie dans ces conditions, et se sont construits une forme de socialisation. Il faut la respecter, l’aider, notamment en veillant à l’accès aux soins.
Les pouvoirs publics doivent s’engager sur l’achèvement du plan dans un délai de dix-huit mois. C’est une mesure de relance de l’activité économique, c’est une mesure de dignité sociale.
Conformément au principe exigeant que toute politique d’investissement dans la pierre soit d’abord une politique sociale, qu’on décrira en troisième partie, il faudra donc non seulement penser l’accompagnement social de la rénovation, mais mettre fin à un autre scandale d’acharnement administratif. Le législateur a voté la possibilité d’adapter la durée de séjour en France requise pour bénéficier d’une pension (de retraite ou militaire), de façon à ce queles immigrés les plus âgés puissent séjourner dans leur pays d’origine sans perdre tout droità pension, qui ne peut être maintenu aujourd’hui qu’avec au moins six mois de résidence paran sur le territoire. On a du mal à comprendre pourquoi ceux qui sont hostiles aux immigrés veulent de ce fait les empêcher de quitter plus longuement le territoire national… Mais on sait qu’il s’agit d’une mesure de fausse économie, consistant à ne pas vouloir que les titulaires de ces pensions puissent à la fois être au soleil et toucher une pension. Nous parlons ici de vieillards aux pensions très faibles, qui ont eu une carrière professionnelle ou militaire d’une grande dureté. S’acharner à les maintenir l’hiver durant dans des foyers de travailleurs migrants où ils sont inactifs, c’est laisser accroire à leurs descendants que nous tenons en grand mépris ceux auxquels pourtant notre société doit tant.
Le geste à accomplir est simple : il suffit d’un décret en Conseil d’État, indiquant que la duréede séjour est réduite selon un barème, réduisant celle-ci d’autant plus que l’âge est avancé. Aux jeunes titulaires, on pourra demander onze mois de séjour, aux très vieux deux mois pourront suffire. Ce geste, de commisération, restaurerait d’emblée notre crédit auprès des jeunes, qui ne peuvent comprendre notre fureur, que ne motivent que d’infimes et illusoires économies, à l’encontre de ceux qui se bornent sur notre sol à mourir en silence.
Notre histoire partagée
est une mémoire vivante
L’enthousiasme pour la rénovation urbaine est parfois suspect. L’aide à la pierre s’y distingue, ici aussi de l’aide à la personne : faire du béton dispense parfois de s’intéresser aux êtres humains. Et une bonne rénovation, fraîche et pimpante, est parfois motivée par la volonté de blanchir les publics. Les populations intéressées le savent bien – on ne leur demande que trop rarement leurs envies et leurs besoins, et encore moins quel sort elles entendent avoir dans les nouveaux lieux.Il est permis de se demander si le projet n’est pas, ici ou là, de faireque les indésirables deviennent aussi des invisibles. Bien entendu, on peut interdire, réprimer,condamner pareil comportement – mais on ne le fait que si on le sait et si le vouloir n’est pas trop difficile. On y perd toujours – parce qu’on arrive trop tard, et qu’on ne construit pas une
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société par la condamnation ou la répression – on arrête une prolifération de sentiments xénophobes, mais on ne permet pas qu’ils ne naissent pas.
Inversons d’emblée la tendance. Posons comme principe que toute rénovation urbaine doitcommencer par célébrer les habitants : leur passé, leur itinéraire, leur histoire. Si on ne peut garder les murs et les lieux, que du moins on en construise la mémoire. Une fraction de la ressource, dans le cadre (qu’on définit plus bas) de la construction d’un projet social de rénovation, associant les habitants, et conçu pour eux (avec un volet subordonné d’investissements inspirés par et résultant de ce projet social) doit être consacrée à l’édification préalable de ce lieu de mémoire. Racontée et attestée par les habitants, illustrée par eux, célébrée et commémorée, – par le mobilier urbain, les dénominations, les cérémonies adéquates,– elle doit permettre que la rénovation ne soit pas un effacement, du passé et des personnes, mais une histoire qui se poursuit.
Concrètement le projet de rénovation, quels qu’en soient le lieu et la forme (destruction d’une ancienne cité ouvrière, rénovation d’un foyer de travailleurs migrants, disparition d’unsquat d’une copropriété dégradée, refonte complète d’un quartier sur financement ANRU…) doit faire l’objet d’un préalable adapté, conduit par les associations et les collectivités publiques, semblable au moment qu’est, toute chose égales par ailleurs, la phase d’archéologie préventive avant un chantier : une investigation mémorielle, temps de recueil et de collation, de mise en scène et de conservation, de transfert et de préservation s’il se peut. Il peut y avoir, dans la pire barre de béton, des lieux sacrés ou symboliques, des marqueurs sociaux ou collectifs, parfois des œuvres d’art, des hauts lieux sus et connus de ceux qui y commirent de hauts faits, microscopiques peut être, mais représentatifs d’une
histoire dont on sait aujourd’hui combien elle est essentielle à l’écriture de l’Histoire. 35
Réfléchir ainsi est une manière de reconnaître ceux qui contribueront, de transmettre une identité réelle et non fantasmée, de rectifier des déformations et des a priori; de manifester aussi que nous voulons, collectivement, ne rien nier, ne rien oublier, sans juger, juste pour garder le savoir, et d’en créer pour des populations qui, trop souvent, se sentent mises à l’écart, en posant une monumentalité commémorative moderne, proclamant par elle-même ce qu’est la nation, ce qu’elle fut, ceux qui la composent, ici, chez elle.
La cité de l’immigration, qui dit cette histoire nationale, devrait être le lieu ressource central de ce projet, lorsqu’il implique des populations immigrées (et il faudra trouver son alter ego pour l’implication des personnes non immigrées, pour ne pas faire de la mémoire un autre ghetto) assistant de ses moyens, de son prestige, diffusant méthode et expérience, archivant, montrant et exploitant les richesses ainsi préservées ; elle y retrouverait ainsi le rôle social qui était initialement le sien et que l’oubli des pouvoirs publics a mutilé.
Les gouvernements successifs semblent en effet avoir eu peur, après le geste courageux que futla création de la cité, de leur œuvre – refusant ressources (c’est le seul musée national quefinance si peu le ministère de la culture) et reconnaissance. En apesanteur, la cité, outil ambitieuxet riche, doit redevenir le vaisseau amiral d’une navigation dans une partie de notre histoire,lieu de connaissance et de reconnaissance, rayonnant dans le milieu scolaire avec un richematériel pédagogique et des expositions légères itinérantes. Le discours public nouveau qui estle premier acte auquel on appelle peut commencer par ces mots : la cité de l’immigration, pourapprendre, comprendre, respecter, et faire écrin à une mémoire nationale, qui ne peut se prétendre telle qu’en guérissant de sa myopie envers une partie de ceux qui la composent.
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Contrôle social des critères d’accès
au logement
Le logement joue un rôle central dans la construction d’une société inclusive – protecteur des familles et individus, base de la vie privée et sociale. Modifier sur le long terme le rôle pervers que joue la relégation géographique et sociale demande des changements lents et profonds. L’urgence est pourtant de rendre possible un accès au logement social de qualité, qui permette de sortir de l’entassement – la surpopulation est la mère de l’échec scolaire et du désœuvrement juvénile dans l’espace public – et des conditions sanitaires indécentes qui caractérisent de fait le parc social.
L’accès au logement social obéit aujourd’hui à des règles très précises de priorité. Elles sont pour l’essentiel inconnues de tous, hormis quelques experts qui, du reste, sont parfois en désaccord sur la façon de les appliquer. Elles sont opposées sans la moindre justification et dans la plus grande opacité. On prend rang dans une liste en ne sachant exactement quels parcs elle concerne et combien de personnes y figurent, qui décide et comment. Il n’y a pas de domaine de la vie publique où la prise de décision apparaisse comme aussi obscure et incertaine – à peu près autant que l’octroi d’une faveur à la cour du Roi-Soleil, dans un jeu cynique où Louis XIV déclarant en réponse à toute demande: “nous verrons”, voit son rôle joué par le préfet ou le maire, sans compter d’autres acteurs moins connus.
La conséquence en est simple : rien ne garantit que ceux qui ont besoin du logement socialy accèdent réellement en fonction de l’urgence et même de la reconnaissance de ce besoin ; et le système génère tous les fantasmes – notamment celui, chez les plus modestes, qu’il est construit de façon à privilégier “les Arabes” – et toutes les dérives, notamment la mise en œuvre de politiques inacceptables de ségrégation, ou de concentration : un maire qui veut “blanchir” un quartier peut assez aisément y parvenir, et on n’a pas connaissance qu’un préfet ait jamais pu s’y opposer avec succès.
Un nouveau cours ne résultera pas du simple changement des critères d’attribution, mais son amorce résultera du coup d’arrêt donné à l’enlisement malsain actuel. Il doit y être mis fin par une nouvelle gouvernance des attributions, qui ne bénéficiera pas qu’au public visé par l’intégration, mais par surcroît, leur sera favorable, ainsi d’abord qu’à tous les demandeurs de logement. Le ministère du logement a entrepris d’ouvrir la concertation nécessaire à cette refonte, qui dépasse de beaucoup par ses enjeux le champ du présent rapport. Ce qui suit est la contribution qu’on croit devoir apporter à la fabrication d’un nouveau système qui reste à élaborer, inspirée par les nécessités de l’intégration, qu’il faudra naturellement concilier avec d’autres.
En premier lieu, le bailleur doit s’en remettre aux pouvoirs publics – c’est la contrepartie de l’aide et des prérogatives qu’il en reçoit. Il doit évidemment contribuer à former la décision, mais pas la prendre. En second lieu, la décision doit n’avoir qu’un auteur – tout contingentement réparti amoindrit l’efficacité du système en créant des classements de mérites incohérents et en laissant des soldes de capacités inoccupées. Cet auteur ne doit pas définir les critères d’accès – seulement les appliquer, comme le bailleur prenant part à l’élaboration de la décision, mais non à la définition préalable de ces critères.
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Quant aux critères d’accès, en troisième lieu, le législateur doit en poser le cadre – et le choix doitfaire l’objet d’un débat informé et profond, aux critères classiques de revenus devant s’ajouter lespriorités sociales que la nation doit classer en fonction des stratégies qu’elle entend poursuivre.
Mais en quatrième lieu, ces principes généraux doivent être adaptés au plan local – par une négociation collective dont les bénéficiaires potentiels doivent être les principaux acteurs. Si les élus locaux, les services de l’État, les bailleurs sociaux, doivent y prendre part, les futursoccupants doivent aussi être parmi les décideurs. C’est la seule façon d’éviter les accusationsde privilège ou de passe-droit, et les rancœurs nées d’inégalités ressenties. Cette participation doit pouvoir être atteinte (comme on le verra illustré ailleurs) en recourant aux médiateurs locaux qui seront issus des populations elles-mêmes, aux associations si elles sont représentatives, aux syndicats, aux personnels de terrain spécialisés dans l’accompagnement social… La même structure négociant les critères devra se réunir périodiquement pour les actualiser, déléguera en son sein un comité de suivi, et animera un droit de vérification en cas de contestation de la mise en œuvre concrète des critères.
L’autorité de décision devra être la commune, ou l’agglomération, parfois le département comme on le verra. Du moins, toutes les fois où l’offre de logement social est supérieure aux minima prévus par la loi. En revanche, le préfet devrait décider, lorsque le parc social est d’un volume insuffisant au regard de ces critères légaux. Ce retrait de prérogatives devrait donner une plus forte incitation à construire un parc social que les pénalités financières qui sont volontiers payées pour maintenir les plus modestes à distance. La richesse ne saurait acheter l’intérêt général.
Enfin, une totale transparence devra prévaloir, toute demande devant faire l’objet d’une réponse écrite, indiquant les critères applicables, l’état actuel du stock, et informant des délais prévisibles, information régulièrement renouvelée. Toutes les attributions, anonymisées, devront être rendues publiques, en indiquant selon quelle pondération de critères et sur quel ordre de mérite il y a été fait droit. Cette transparence est due d’abord au demandeur, pour justifier des délais d’attente parfois considérables, ensuite à tous ceux qui croient qu’il est simple et aisé d’être logé dans des conditions acceptables aux frais de la collectivité. Enfin, cette transparence permettra une évaluation scientifique indépendante du système, et les corrections nécessaires de ses imperfections ou de ses inefficacités.
Vérité face aux clandestins
Quand on veut demeurer décent, on n’admet l’immigration que du bout des lèvres, et on explique que le drame vient des flux d’immigrés clandestins. Bien qu’on soit incapable d’enmesurer avec précision le nombre, très inférieur fort heureusement au discours alarmiste debien des commentateurs, et bien que, comme on le verra dans la troisième partie, l’État soitle principal créateur de clandestins par son comportement, on en a fait la base des politiques d’immigration et, hélas, d’intégration. Reconduire les clandestins à la frontière est devenue une obsession, et l’on a fini par faire croire à la population que des milliers de policiers gardaient les frontières, et réexpédiaient manu militari ceux qui étaient passés au travers des mailles du filet. Malheureusement la malignité de ces clandestins serait grande, ils reviendraient sans cesse, et l’on continue à vouloir sans fin perfectionner la loi pour se doter d’autres moyens. Il est temps de revenir à la réalité.
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Nous sommes un État de droit. Ceux que nous ne reconduisons pas à la frontière ne peuvent pas l’être. Une toute petite minorité essaie de dissimuler son origine, et faute qu’on sache de quel pays l’intéressé provient on ne peut le reconduire. Mais pour la plupart, le défaut dereconduction tient à ce qu’ils sont en droit inexpulsables : soit parce que le pays vers lequel on les reconduirait leur ferait un très mauvais sort, soit pour d’autres raisons tenant notamment à leur situation personnelle (enfants, santé…).
L’immense écart entre cette situation de droit finalement assez satisfaisante, et les mouvements martiaux publics des différentes autorités, se traduit par un marécage de souffrance et de destruction sociale qu’il est impératif d’assécher. Le clandestin qu’on ne renvoie pas vit dans la misère. Il n’a droit à rien, ni compte en banque, ni prestations, ni travail régulier, ni logement décent. Il offre le spectacle lamentable d’une population étrangère maintenue de force dans un état de clochardisation qui détruit les êtres, les rend vulnérables aux intégrismes, mais surtout en fait la proie des mafias, des employeurs sans scrupule, et des logeurs sans morale. L’image qu’il donne, bien plus visible que celle des autres immigrés, dégrade évidemment profondément l’idée que nous pouvons avoir de ce que sont les immigrés : nous ne les voyons plus que pouilleux, miséreux, traînant dans la rue, cherchant à survivre dans l’illégalité.
À la fin, tous les gouvernements sans aucune exception, de droite comme de gauche, finissentpar leur donner des papiers. De guerre lasse, à l’usure, nous ne pouvons évidemment faireautrement que constater que, toujours présents depuis une longue période, il vaut mieux finir par accepter leur séjour. Qu’on se place un instant dans l’esprit de ces personnes: pourchassées, humiliées, maltraitées, on finit par leur donner du bout des lèvres l’autorisation
38de rester, un titre de séjour. Croit-on qu’ils vont avoir envers la République une reconnaissance, après qu’on leur aura si durement dit qu’ils n’avaient aucun droit à être ici, après que nous aurons fait tout notre possible pour les rejeter hors des frontières, sans ménagement, quandnous finirons par leur donner ce qu’ils demandaient depuis le début ? Accessoirement, nous leur donnons ces papiers sans contrepartie, et ceux qui ont joué le jeu – renonçant à venir, respectant les règles, peuvent à bon droit se demander pourquoi ceux qui trichent finissent par se trouver dans la même situation que ceux qui font des efforts.
Pour toutes ces raisons, le réalisme commande qu’on affronte cette situation en cessant de raconter des histoires au grand public. Les mesures de police ne sont pas faites pour être mises en scène, et le traitement de la personne humaine demande autre chose que des déclarations brutales et catégoriques. Les personnes entrées sur le territoire qui n’ont pas de titre à y séjourner doivent être classées en deux catégories. La première est faite de ceuxqu’on parvient à reconduire à la frontière, avec dignité, si possible en se demandant quel sortva leur être réservé une fois rentrés, les aidant à y assumer ce qui est l’échec d’un parcoursd’émigrants. Ne pas le faire – pour qui trouve que nous n’avons pas un centime à dépenserpour des clandestins – est s’exposer au risque d’un immédiat retour ; ruinés, ayant perdu toutcrédit, rejetés, dans leur pays d’origine, ils s’acharneront à revenir. Il est humain, mais il estaussi rentable de les aider à rentrer dignement. Recréons en conséquence des délégations de l’Office français d’intégration et d’immigration (OFII) dans les principaux pays d’origine, dotons-les d’aides à la réinsertion locale et d’une compétence pour aider au maintien sur les lieux de ceux qui n’ont pu être accueillis.
L’autre catégorie est faite des clandestins que nous ne pouvons expulser. Lorsqu’on a échoué une fois, on n’y arrive jamais. Reconnaissons-leur donc un titre constatant le fait qu’ils séjournent en France, titre qu’on pourrait, à l’instar des Allemands qui en sont les inventeurs
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et s’en trouvent bien, nommer titre de tolérance. Il aurait le premier avantage, que contrôlé dans la rue, son porteur ne fera pas l’objet d’une mise en rétention pour quarante-cinq jours mobilisant des fonctionnaires et des capacités d’hébergement pour une expulsion impossible. Ce titre ne donnera que des droits extrêmement réduits au moment de sa délivrance. Droit d’échapper au contrôle par sa présentation, droit d’accéder à la couverture maladie universelle (CMU), droit d’accéder pour une durée maximale à fixer à un logement d’urgence. Sa délivrance sera assortie d’une journée d’entretien avec le service public de l’accueil et de l’intégration. On signifiera à l’intéressé qu’il dispose de cinq ans pour montrer que sa présence, bien qu’initialement irrégulière, peut lui donner un droit au séjour. Cinq ansest la durée au terme de laquelle aujourd’hui nous régularisons les clandestins. Plaçons alorssur ce trajet vers la délivrance d’un titre de droit commun une série de bornes automatiques que le détenteur devra franchir. Du jour de la délivrance, il disposera de trois mois pour trouver une autre adresse que dans l’hébergement d’urgence ; la produisant, avec l’aide d’associations financées à cette fin, il aura droit à un tiers d’aide personnalisée au logement(APL), et celui de suivre une formation de base au français ; revenant au terme de trois autres mois avec l’attestation de suivi de cette formation, il aura droit à la moitié de l’allocation d’attente des réfugiés. De borne en borne, son insertion progressive dans la société, non pas par un contrat d’intégration, mais par une ordonnance d’intégration, son cheminement vers la régularisation sera un processus social contraint – pour lui, comme pour nous, mais qui permet une sortie digne, efficace. Tout manquement à l’une des bornes, qui ne pourrait être justifié au moins par la démonstration des efforts faits, entraînera immédiatement le retrait du titre de tolérance, le placement en rétention, qui pourrait alors par la loi être porté à une durée plus importante, des moyens plus intenses pouvant être concentrés pour la reconduite à la frontière dans un pays qui peut d’ailleurs être un autre que celui d’origine.
À qui voudrait contester cette mesure en la taxant d’une excessive naïveté, on opposera quela naïveté est celle consistant à croire qu’on construira une société forte et harmonieuse pardes mesures de police que la réalité réduit trop souvent à l’impuissance. Nous sommes une grande nation, qui a choisi de construire un État de droit. Le cynisme consistant à clamer qu’on expulse toujours alors qu’on sait bien qu’on régularise souvent, démoralise les classes populaires, qui voient bien qu’on ne reconduit pas, et attribuent cette situation à ceux qui en sont les principales victimes. Ayons le généreux et rigoureux courage d’une vérité sociale– le prix politique à en payer est moins élevé que celui qui résultera un jour de la destruction de la confiance de nos concitoyens.
Des carrés musulmans dans les cimetières
Sait-on que parmi nos compatriotes musulmans issus de l’immigration, le retour au pays estmassif? Que les zélateurs de la xénophobie ne s’en réjouissent pas, ce ne sont que les morts qui repartent. L’islam exige qu’on enterre ses fidèles d’une certaine manière et en terre consacrée, et la République, qui a construit l’espace public en le laïcisant, parfois à outrance, refuse de facto qu’on pratique sur le sol des cimetières les rites qui rendraient l’enterrement possible. La même religion exige qu’on enterre au plus vite les défunts. Mourir en France, pour un musulman, c’est donc imposer à la famille l’évacuation la plus rapide possible des cercueils hors des frontières.
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Il y a deux façons de voir cette situation. L’une, maintenant une laïcité de combat, qui remarquera sardoniquement que le choix de croire et suivre un rite a des conséquences, etqu’il faut les assumer: si la terre de France n’est pas assez bonne pour les musulmans, qu’ilsaillent se faire enterrer ailleurs, on ne communautarisera pas les cimetières, ni ne laissera une religion privatiser l’espace public, et une secte n’expropriera nulle part de nos cimetières reconquis sur le catholicisme par la révolution française.
Qui ne voit que la violence faite aux musulmans ne peut ici que résonner dans le cœur de leursenfants ? Qu’est-ce que cette patrie – la terre des pères – qui refuse que dans sa terre soit enseveli leur père ? Quelle est la nation qui aime assez ses enfants pour imposer que le devoirfilial qu’on rend à ses morts en se recueillant sur leurs tombes ne puisse l’être qu’à l’étranger? Soyez français, refusez la double nationalité, ne portez pas l’uniforme ailleurs, demeurez discret et intégré, n’arborez pas au stade le drapeau d’une autre nation, parlez français – maisenterrez vos pères ailleurs! Pourquoi cet acharnement contre un prétendu communautarisme
?
La révolution, c’est l’universalité, ce qui vaut pour un vaut pour tous. Au nom de quoi, exactement admettre la croix érigée, et refuser une pierre tombale ou sera gravé un verset du Coran, au motif que le carré renfermant ces morts ne contiendra que les dépouilles d’une seule religion ? Oui, ce sont des prescriptions qu’impose l’islam, mais en admettant que 100 m² ici ne soient accessibles demain qu’à ces fidèles-là – morts ! – que cédons-nous aujuste ? Faisons ce geste, minime, en gage de notre bonne foi, pour porter aux musulmans une parole publique généreuse et confiante : vos morts sont les nôtres, au jour du deuil, il n’est plus de race, de classe ou d’origine, et votre chagrin pourra, du moins, s’épancher là où vous
40 vécûtes ; et vous continuerez d’honorer les vôtres, ici, chez vous.
Concéder des droits à une religion n’est pas aisé – qu’elles s’en accommodent donc entre elles. Que toutes les confessions et les rites confrontent leurs aspirations, et qu’ayant ainsi exposé des demandes et des vœux, elles les portent aux collectivités compétentes, les communes, via leurs associations et leurs représentants de tout genre. Et que de cette discussion, l’État tire les conséquences, en offrant plusieurs possibilités, en veillant partout à rappeler que dans l’enclos où l’on enterre selon un rite, on doit toujours pouvoir enterrer, juste à côté, ceux qui n’en suivent aucun. La fraternité, c’est aussi de se découvrir devant le convoi qui passe et de partager la douleur quand elle éclate au milieu de nous. Aucun musulman ne doit plus croire que la terre – sa terre, la nôtre – de France n’est pas la sienne.
En vérité, rien dans notre droit n’interdit vraiment de procéder ainsi. Mais trop de circulairessont venues le rappeler en invitant à des accommodements pour qu’il ne soit pas nécessaireque la loi passe en proclamant ce qui est déjà possible et en en affirmant le droit et la nécessité.
Ce geste auquel on appelle n’a, pour les cyniques qui en questionneraient la justice, pas d’autre but que de priver, par un coup d’éclat, les jeunes générations de la facilité de recourir à un fantasme d’islam pour se forger une identité. La générosité, tranquille et discrète, de cette amorce de changement, les invitera à chercher ailleurs une posture rebelle – inévitable, commepour tous les jeunes de France, mais qui ne doit pas chercher ses modèles dans des terroristes pouilleux, au prétexte, hélas fondé, que nous chassons leurs pères de nos sépultures.
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3e pa
Les axes de la refondation
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On ne prétend pas connaître les solutions aux difficultés sociales appelant une politique d’intégration telle que les critères en ont été définis dans la première partie. Il est en revanche possible d’affirmer quels sont les domaines dans lesquels l’action est nécessaire, et d’apprécier la pertinence du dispositif existant ou des tentatives antérieures. Il est plus audacieux de formuler des propositions, tant est complexe la mécanique sociale qu’il s’agit de remettre en mouvement ou dont il faut infléchir la course. Mais l’urgence de l’action est telle qu’on ne saurait reporter l’amorce du nouvel élan après le temps d’une nécessaire réflexion pour pondérer les diverses options. On court moins de risques à se tromper en agissant qu’à réfléchir en restant inactif.
En raison même des incertitudes affectant l’efficacité des divers instruments, du devoir d’intelligence, de mesure, de participation, et d’évaluation, qu’on a déjà rappelés, on ne doit considérer ce qui suit que comme des propositions d’expérimentation, dont on devra mesurer l’intérêt et, si on s’y livre, apprécier l’efficacité, ou comme des ouvertures de débats, dont on essaie d’esquisser des composantes novatrices, dans l’espoir, si elles apparaissent comme trop audacieuses, ou déraisonnables, ou inefficaces, que les nuances, les restrictions, les amendements qu’on voudra y apporter permettront, néanmoins, d’enclencher une dynamique de réflexion, de débat public, puis de mise en œuvre, au servie des objectifs décrits. Le succès de ces propositions ne saurait se mesurer à leur mise en œuvre : l’ambition qui les suscite serait réalisée si demain, non seulement les pouvoirs publics, mais la société entière, en font la matière de joutes démocratiques et de décisions. Que soient adoptées d’autres solutions est indifférent – si des solutions sont adoptées.
On a classé ces axes en deux sous-parties, la première relative aux outils – acteurs et territoires, la seconde à des thématiques, spécifiques ou transversales.
Outils
Le devoir d’intelligence, de pédagogie et de critique
Le devoir d’intelligence qu’on veut imposer aux politiques est évidemment partagé par la société entière. Il ne s’agit pas de lui donner des leçons, mais des informations. L’élaboration de celles-ci, pour qu’elles deviennent aussi simples et accessibles que ce que le journal télévisé, la radio, la presse écrite, peuvent diffuser suppose un immense travail de réflexion, de recherche, de conceptualisation. C’est seulement sur cette base que le débat, politique, social, local et national, et la reprise d’une parole française en Europe qui ne soit pas celle du maintien de l’ordre, mais bien de l’humanisme français issu des lumières, peuvent reprendre. Nous quittons trois décennies d’anathèmes, de simplifications outrancières, dans lesquels extrémisme et bon sentiments, a priori et règne des apparences se sont mêlés, pour constituer un discours public définitivement enlisé dans des postures dont la raideur masque mal la vacuité. Avant de faire de la politique, clairement située entre la droite et la gauche, bien que fondée, pour toutes deux sur le socle commun que seuls les extrêmes récusent, ilfaut que chacun, citoyens comme élus, partage des vérités élémentaires. Celles-ci ne sont pas des condamnations, ni des injonctions, elles reposent certes sur un savoir, mais pas sur un magistère. Ici aussi, la bienveillance doit régner.
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Au-delà de l’urgence de disposer de statistiques claires, expliquées, et justifiées, pour lesquelleson a proposé la garantie d’un HCI refondé, nous avons besoin d’une recherche universitaire puissante, variée, indépendante, internationalisée. Nous devons disposer de laboratoires nombreux, exposant et interprétant l’histoire de notre société dans sa dimension liée aux immigrés. Nous devons comprendre le fonctionnement de la société depuis l’échelle des psychologies individuelles jusqu’aux sociologies d’ampleur nationale. Nous devons apprécier l’évolution des mouvements de population, et tenter de discerner ce que seront les flux migratoires à venir. Nous devons connaître les religions, les croyances et les mœurs. Nous devonspénétrer les mentalités, les manières d’être, les valeurs et les motifs. Un immense programmes’ouvre à nous, d’études, de recherche, de réflexion, de synthèse interdisciplinaire. Les créditsépars qui existaient autrefois ont disparu, les quelques chercheurs qui courageusement s’essaientencore à travailler sur le secteur s’épuisent et regardent vers l’étranger. L’université doit être au cœur du renouveau de la conception de la politique d’intégration.
À cet effet, l’Agence nationale de la recherche (ANR) doit disposer de programmes et de crédits lui permettant de mettre en œuvre une stratégie nationale de recherche. En aucun cas l’État ne doit se prononcer sur son contenu. On doit laisser à la communauté scientifique la parfaite indépendance dont elle a besoin, notamment au regard des standards internationaux, pour développer les laboratoires, les écoles doctorales, les programmes de suivi et de recherche, qui permettront de recréer une communauté intellectuelle de haut niveau, mêlant l’ensemble des disciplines. Il faudra chercher ailleurs, associer le mieux possible dans des partenariats tant le mouvement social (associations et syndicats) que les collectivités territoriales, ou encore les entreprises qui ne peuvent qu’y trouver intérêt – y impliquer les organismes consulaires, en ce qui concerne le financement de l’acquisition de connaissances sur l’emploi, la formation, leurs dynamiques et leurs carences, plus généralement mobiliser à cette fin tous les organismes professionnels que l’État investit de droits ou prérogatives (les ordres professionnels par exemple) assurerait les marges de manœuvre nécessaires.
Les établissements publics comme la nouvelle agence œuvrant à l’intégration, mais aussi la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, l’ensemble des établissements universitaires et scolaires, tous les organes d’information de l’État auront alors pour tâche de prendre connaissance, synthétiser, mettre en forme et diffuser sous la forme et au niveau adéquat lesrésultats de ces recherches. L’ensemble des médias, et les réseaux sociaux (pour lesquels on appelle ailleurs à une action spécifique de formation et d’information) devront dans des conditions qu’ils détermineront librement, également se faire l’écho de la diffusion de ce savoir.
Pour que cet effort ait lieu, pour que l’on puisse garantir son objectivité, son impartialité, sa diversité, son professionnalisme, le HCI doit en devenir le garant, l’instigateur, le protecteur, commenter son intensité, son adéquation, et l’exploiter pour, conformément à sa mission première, entretenir le débat public. À ce dernier titre, il doit notamment se tourner vers l’ensemble des débiteurs de cet effort de pédagogie, apprécier les plans qu’ils mettront en place, structurer les efforts, et rendre compte aux pouvoirs publics de succès comme des échecs.
Si nous commençons à recréer la grande communauté universitaire dont nous avons besoin en l’espèce, nous commencerons alors à disposer des moyens de conduire les impérieusement nécessaires politiques d’évaluation. On doit ici répéter que nul ne détient le savoir et la vérité quant à l’efficacité des politiques publiques en matière d’intégration.
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Les choses qui paraissent les mieux établies sortent parfois diminuées d’une évaluation critique indépendante tandis que telle initiative a priori marginale s’avère d’un rendement exceptionnel. Nous avons besoin d’un regard critique pour que le seul débat politique, et les alternances qu’il entraîne, ne tienne pas lieu d’évaluation par défaut. Il est légitime que chaque camp privilégie un axe ou un autre, mais il serait bien préférable qu’il le fasse en sachant qu’elles sont les mérites exacts, quantitatifs et qualitatifs, des dispositifs qu’il porte aux nues ou qu’il veut faire cesser.
Le HCI devrait par suite être investi de la mission de garantir également l’existence de telles évaluations. Un programme de qualification des évaluateurs (qui porterait aussi sur les corps d’état comme les inspections générales ou la Cour des Comptes, qui doivent y contribuer, et ne saurait le faire au travers du filtre de droit commun usuel) serait le préalable à la mise en œuvre d’un programme permanent d’évaluation, recensant localement comme nationalement, à court comme à long terme, les résultats atteints, la valeur ajoutée de chaque dispositif, l’efficacité des crédits, etc.
Le triple rôle que doit jouer le HCI implique une réforme de son statut. On commencera, en cohérence avec la critique de l’intégration par changer son nom, pour marquer la rupture, - par exemple en le dénommant “haut conseil de la nation”. Comme toute structure administrative, en effet, il a vieilli, s’est multiplié, et à l’instar des innombrables délégations interministérielles, a veillé à disposer de quelques crédits, quelques personnels, et quelques luxueux locaux – il faut restaurer son crédit en commençant un nouveau cours, à la fois plus ample et plus sobre.
Son recentrage sur les fonctions de validation et de communication des statistiques, de supervision d’un programme de recherche et de pédagogie de ses résultats, et de mise en œuvre de moyens et de stratégies d’évaluation dont il mettra les résultats en débat, devrait conduire à lui donner non un statut d’autorité administrative indépendante, dans la mesure où son autorité est morale et non décisionnelle, mais une composition qui s’en approche et qui l’éloigne assez de l’exécutif pour n’en point apparaître dépendant. On peut ainsi réduire l’effectif de son collège à neuf personnes, choisies pour leurs compétences, et désignées par l’exécutif, le président de l’Assemblée nationale, et celui du Sénat. Le choix devrait se porter sur des personnalités réputées pour leur indépendance et leur compétence réelle (issue d’une expérience dans le tissu associatif ou les syndicats ou comme élu, reposant sur des titres universitaires et des travaux, ou encore sur une expérience professionnelle dans le domaine), compétence que pourraient utilement examiner les commissions parlementaires. Il serait légitime d’indemniser ces personnalités à hauteur de leur implication, sans que le niveau actuellement atteint pour une fraction des membres seulement paraisse pour autant justifiable. Pas plus justifiable ne paraît que des personnels permanents lui soient rattachés au-delà de la fonction à temps partiel de rapporteur général : le haut conseil est le garant que d’autres travaillent et non un lieu de production. Qu’il siège dans un lieu neutre pour ses réunions occasionnelles plutôt que de disposer des locaux générera également quelques menues économies au service de l’intégration. Sa mise en réseau avec l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, les grands établissements de recherche, et la structure appelée à succéder au Centre d’analyse stratégique (CAS) suffira à sa puissance de travail – il doit quant à lui produire, à partir des travaux impulsés, du débat, des idées, une exigence, un regard critique, constructif, objectif, pour le débat public.
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Agir puissamment sur un territoire dans une République décentralisée
L’impasse dans laquelle se sont engouffrées toutes les politiques d’intégration est celle de l’impossible définition de leurs destinataires. Nationalité étrangère ? Mais l’acquisition de la nationalité ne marque trop fréquemment pas la fin des problèmes, tandis que la plupart desétrangers n’ont aucun mal à s’intégrer. Origine étrangère ? Elle est supputée plus qu’objective(faciès, accent, patronyme…) et n’a pas plus de valeur comme critère concret – nous avons tous les origines étrangères, qu’elles soient proches n’est pas un facteur explicatif plus puissant que la nationalité. Couleur de peau ? Outre l’impossible établissement de formulaires comportant un nuancier dermatologique qui ne rappelle l’apartheid ou les délires raciaux du XXe siècle, veut-on ainsi intégrer les citoyens français d’outre-mer, nationaux depuis plus longtemps que les habitants de Strasbourg, Besançon, Nice, ou Annecy?
C’est qu’identifier les publics paraît un préalable nécessaire aux actions en leur direction. Autant la démarche est aisée pour ceux qui franchissent la frontière en vue de résider durablement, autant elle est périlleuse et souvent perverse pour les autres. Définir autrui par son être – c’est nier que son être puisse équivaloir en dignité aux autres. Aucune politique sociale ne repose sur une telle approche de groupes autres que définis par un critère matériel : on ne peut ici l’affirmer qu’en masse, car le manier pour chacun aboutit à assigner chaque personne à jamais dans la situation dont on veut qu’elle soit extraite.
Prenons en notre parti. C’est ce qui a été fait avec la création de l’ACSE sur les décombres du FASILD, en décrétant (encore que le débat parlementaire qui assuma le choix ne le fit guère clairement) qu’il n’y aurait plus jamais de problème d’intégration : la politique d’accueil donnerait aux primo-arrivants les clés de la naturalisation, efficace transmutation chimique garantissant la fin des problèmes ; et la politique de la ville traiterait les discriminations dontsouffrent les quartiers en difficulté (qui enferment, reconnaissait-on, des pauvres, des exclus,des discriminés, mais jamais les personnes auxquelles leur origine étrangère cause la majeure part de leurs difficultés sociales) : combien confortable la politique qui abolit le problème pour résoudre la première difficulté qui le caractérise!
Assumons-le, c’est-à-dire reconnaissons que la politique d’intégration ne reposera jamais sur des prestations ou des dispositifs, en dehors des parcours d’accueils initiaux, individuels, horizontaux, et généralisés. Elle doit cependant être une politique qui s’adresse aux personnes – une par une – par une action méticuleuse individualisée d’accompagnement social. Elle doit, de ce fait, s’inscrire dans des cadres de cohérence qui garantissent qu’aucun de ceux devant bénéficier de cette politique n’en sera exclu.
Deux approches de ces cadres sont concevables, territoriale et sectorielle. Aucune des deuxne doit être négligée ou privilégiée, mais leur mode de conception et de mise en œuvre doit être adapté à leurs spécificités.
L’approche territoriale permettra de toucher une part importante, mais pas suffisante, des populations concernées. Contrairement aux clichés, la plus grande part des populations concernées ne vit pas dans des ghettos dégradés, mais un peu partout, y compris en milieu rural, et la politique zonale échouera alors à les prendre en compte.
Il n’en reste pas moins que cette politique zonale – qui épousera plus ou moins les délimitations de la politique de la ville, dès lors qu’on les élargit à des aires de dynamique urbaine et qu’on ne les cantonne pas aux sempiternels quartiers – traite des cas les plus
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flagrants, les plus graves, par l’image donnée autant que les dégâts faits, la plus désastreusepour les populations concernées – la désintégration sociale où chaque difficulté renforce lesautres et fait dériver le social vers le fait divers. Agir là, prioritairement, se conçoit aisément.On le fait depuis trente ans, avec des résultats inégaux. Il est temps de centrer cette politiqueaussi sur les populations visées par l’intégration – ce qui n’a jamais été fait, contrairement à ce que les détracteurs de la politique de la ville soutiennent. Pour ces populations, le but n’est pas le même : il ne s’agit pas de remise à niveau, de lutte contre l’exclusion, mais on l’a vu, d’inclusion dans une société qui les tient à l’écart et à ses marges.
Comment faire ? On articulera ce qui suit avec la réforme des outils décrite ailleurs. Il s’agit ici de tenir compte d’une réalité qui fait obstacle au succès. Nous voulons agir sur la société à partir d’une légitimité politique puissante sur le territoire en déshérence, en concentrant les moyens au service d’une action sociale multidimensionnelle. Et pourtant, nous continuons à le faire dans un cadre napoléonien à la fois obsolète et émietté. Agir sur un territoire pour transformer la condition sociale de ceux qui le peuplent supposen de combiner tous les aspectsde l’intervention individuelle en fonction des besoins : socialisation des personnes, notammentdes femmes, des mères, souvent isolées ; éducation ; temps périscolaire et activités sportives;culture ; logement ; emploi ; ordre public ; formation… Les services publics qui en sont chargés sont répartis en une myriade de centres de décision nationaux et locaux relevant d’une multitude de collectivités différentes : l’État et ses établissements (Pôle emploi, Association nationale pour la formation professionnelle des adultes - AFPA, établissements d’enseignement), ministères et préfecture (au sein desquels les services coopèrent plus oumoins tandis que recteur et procureurs agissent seuls), collectivités territoriales, établissements de coopération, acteurs locaux (OPH, centres communaux d’action sociale, hôpitaux…), concessionnaires de service public (notamment de transport)… La réponse à cet émiettementest l’appel sempiternel à la coopération, à la coordination, à la mythique contractualisation, enréalité chacun pour soi et tous contre chacun – avec des agendas, des échéances électorales,des tutelles, des contrôles, et des règles différentes. Depuis qu’on simplifie les subventions ou les investissements on n’a pas encore réussi à accélérer quoi que ce soit.
Pour diriger, le réflexe est de se tourner vers le préfet – à supposer qu’il ait la compétence personnelle, le goût, et la volonté, trois des éléments que le système actuel ne l’encourage nullement à développer (il peut tomber sur un problème de maintien de l’ordre, on attend encore qu’un seul soit révoqué pour une insuffisante attention aux immigrés à intégrer…) Comment veut-on qu’il aie : a) la légitimité aux yeux des populations qui le connaissent comme principal organisateur de la politique d’immigration et de séjour, de maintien de l’ordre et de répression, b) autorité sur les services structurellement indépendants , c) pouvoirsur des élus qui ont l’argent, les personnels, et les attributions nécessaires, contrairement àlui ? Et oui! La République est décentralisée. L’intégration – il serait temps de le comprendre – doit donc l’être.
Il faut rechercher comment tirer les meilleures conséquences d’une évolution qui pour avoirété chaotique n’en est pas moins désormais à la fois massive et irréversible. Presque tout cequi peut être mobilisé pour l’intégration, en dehors des services de souveraineté et de ce quel’on appelle les services publics constitutionnels, comme l’éducation, est dans les mains desélus locaux. Ils sont empêchés d’agir au mieux – car la plupart, quel que soit leur bord, en a la volonté, au regard du péril électoral où la carence les placerait – parce que chacun n’a qu’une fraction des moyens nécessaires, et qu’aucun n’a été expressément désigné pour conduire ces actions sur son territoire.
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Il faut donc que le Parlement pose le principe simple que la politique d’intégration doit être conduite, là où elle est multifactorielle et lourde, sur le territoire lui donnant le plus de pertinence – ici une commune, là une agglomération, ailleurs un département ou une fraction importante de celui-ci.
Ce niveau de compétence territoriale devrait alors recevoir, idéalement, tous les crédits, tous les personnels, tous les pouvoirs nécessaires à l’action d’intégration : c’est la seule façon de mobiliser enfin l’intégralité des compétences requises au service de l’objectif.
Symétriquement, un préfet (celui délégué à l’égalité des chances y trouverait là une nouvelle vocation plus concrète et plus complète que celles auxquelles on l’a cantonné) devrait voir réunie sur le même territoire sous son autorité exclusive, quoique placé lui-même sous l’autorité hiérarchique du préfet du département, la totalité des services, crédits, compétences exercés par l’État, partout où la loi peut le prévoir. Dans cet échelon spécial de déconcentration, les logiques et frontières d’établissements, notamment en matière scolaire, mais plus généralement dans le domaine de la formation, de l’action sociale, de la santé, de l’habitat, devraient systématiquement être remises en cause. Ceci suppose évidemment une adhésion du personnel et sa mobilisation, en partenariat avec les organisations syndicales, au service d’un projet social collectif d’État, entièrement décloisonné, et dont on peut penser, ainsi, qu’à crédits constants, il disposerait de marges de manœuvre accrues, pour fabriquer le service public localement apte à remédier aux difficultés.
Il va de soi que, pour ce qui concerne la collectivité territoriale compétente, il faudrait une réforme constitutionnelle, notamment pour pouvoir assurer l’élection au suffrage universel direct de l’exécutif lorsqu’il ne l’est pas déjà aujourd’hui. Ajoutons que le droit de vote des immigrés en situation régulière depuis une certaine durée trouverait là une justification particulièrement efficace, leur donnant sur l’élu chargé de cette magistrature reconcentrée un pouvoir, qu’il sentirait nécessairement, et qui le rendrait audacieux, même si le parti auquel il appartient le voudrait timoré. Sans attendre cette évolution, qui mérite un débat public dépassant de beaucoup le cadre de la politique d’intégration, préparons-la, en expérimentant, de part et d’autre – pour vérifier le bien-fondé de l’intuition, et apprécier obstacles, limites, et résultats. Il est possible, dès aujourd’hui, sur la base du volontariat, de sélectionner une vingtaine de territoires pertinents, et d’y créer expérimentalement des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) intégrateurs, (dont le conseil d’administration serait l’organe élu si leur territoire coïncide avec celui d’une collectivité territoriale) au sein desquels l’ensemble des services pertinents serait délégué. Les collectivités territoriales ou établissements ou acteurs locaux dont ils dépendent délégueraient de ce fait des représentants au sein d’un organe consultatif, chacun restant apte à diligenter des mécanismes de sauvegarde légale (contrôle de légalité) et financières (saisine en référé de la chambre régionale des comptes en cas de décision mettant en cause de façon excessive leurs finances). Ce que chacun déléguerait serait à la fois compétences, agents, biens, personnels, évidemment sans que ceux-ci perdent la moindre garantie statutaire, l’ensemble placé sous l’autorité fonctionnelle de l’EPCI. Il serait d’ailleurs nécessaire que les personnels eux-mêmes soient représentés au sein de l’organe délibérant tant pour assurer la défense de leurs droits, que leur meilleure association à la conduite d’une politique dont ils sont en général les meilleurs concepteurs connaisseurs et évaluateurs. À la même échelle, et en miroir, l’État créerait le service commun d’intégration, comprenant l’ensemble des fonctionnaires, crédits et processus dépendant de lui, et la notion de contrat trouverait entre les deux structures un nouveau sens tout autant que celle de coopération.
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Cette expérimentation, pour une durée de l’ordre de trois ans, serait évidemment l’objet d’un programme approfondi de suivi, qualitatif et quantitatif, indépendant et scientifique, comparant la vingtaine de territoires choisis avec autant ou plus de zones demeurant territoires de politiques traditionnelles : on verrait ainsi si la double concentration de pouvoir, aux niveaux déconcentré et décentralisé, crée, comme on le croit, la masse critique et l’élan nouveau nécessaires à un basculement général, ou s’il s’agit d’un mirage. On penche évidemment pour la prévision du succès, mais trop de technocrates ont eu pareille certitude pour ne pas s’en tenir à une expérimentation – extrême, intense, mais réversible, légale, contrôlée.
Agences
Pour conduire spécifiquement les actions susceptibles d’influer sur l’intégration, l’État dispose en propre aujourd’hui de fragments d’administration centrale et de quelques agents en région. Si l’on mesure l’importance d’une politique au nombre des agents, ou au nombre de cadres supérieurs qui la conçoivent, l’intégration est à peu près au même niveau (significativement) que le droit des femmes, loin, très loin, derrière les urgences sociales et économiques de toute autre ampleur – qu’on s’abstiendra de citer pour ne froisser aucun des bénéficiaires des autres politiques.
Au sein du secrétariat général à la police des étrangers et à la nationalité (qui porte le nom de secrétariat général à l’intégration bien que ces fonctions soient essentiellement réduites au flux migratoire et à la nationalité) la direction de l’accueil et de l’intégration (Daic) assure la tutelle de l’OFII et le pilotage des actions relatives à l’intégration, conçue comme l’accès rapide à la nationalité en dehors de la politique de la ville. En région, elle dispose (pas seule d’ailleurs) des préfets délégués à l’égalité des chances, sous-préfets à la ville de classe supérieure, qui s’essaie à coordonner les actions de l’État. Les services en principe dédiés, qui évitent soigneusement toute référence, dans leur intitulé, aux étrangers, à l’immigration, ou à l’intégration, sont les directions régionales de la jeunesse des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS), chargées non du sport et des divertissements, comme dans le morceau de Satie, mais des sports et, là où demeurent un ou deux anciens agents du FAS, d’un peu d’intégration qui ne doit surtout pas porter ce nom. Tout respect dûment rappelé pour le corps préfectoral, il est évidemment impossible qu’il se consacre de façon active, significative, et efficace, à la conduite d’une politique d’intégration. Compte tenu du primat du maintien de l’ordre affectant la fonction, il n’en a ni le temps, ni les moyens, ni n’en dispose des compétences. En revanche, achevons progressivement sa mue, quittant ses habits napoléoniens pour un rôle de référent, moral et légal, de garant, de facilitateur et de synthétiseur, il peut – et devra à l’avenir – s’assurer qu’au moins les principes sont respectés, et que ceux qui agissent au nom de l’État le font de manière ordonnée et coordonnée. Cessons donc d’empiler d’ardentes circulaires en indiquant aux préfets – auxquels on retire de l’autre main crédits et personnels – que tout est prioritaire ; demandons-leur seulement de porter les principes, et de veiller à leur effective mise en œuvre, et d’exercer, localement, la mise en harmonie de la tutelle étatique sur les acteurs.
Trois agences se partagent aujourd’hui la responsabilité des actions. Elles sont, principalement, source de réflexion, de conception et d’expertise, financeurs, et maître d’œuvre locale d’opérations conçues par d’autres mais souvent à leur instigation. Ce rôle doit être réaffirmé, chacune devant régler un problème spécifique.
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Celui de l’OFII est dans les dimensions de son action. Il doit désormais avoir la mission d’incarner et financer le visage de la France pourtout étranger qui franchit pour la premièrefois ses frontières, du moins ceux qui n’ont pas assez de traveller’s chèques pour séjourner au Crillon… Un étranger réfugié (politique ou économique, peu importe), ou rejoignant sa famille, ou séjournant pour études, ou pour son travail, à la première heure est sous la protection de la France – contre ce qu’il fuit, contre les éléments, contre ceux qui pourraientabuser de lui. L’OFII est le pourvoyeur de cette protection, qui doit d’emblée se muer en travailsocial. Ce travail est, pour tous, celui de la protection de la dignité. Il est alors, pour tous ceux destinés à rester sur le territoire, l’accompagnement individuel d’une insertion, d’une incapacitation, qui, secondée par l’œuvre de l’autre grande agence agissant sur l’ensemble de la société, fait de chacun un individu dont l’identité est respectée, mais qui partage ce que notre société a de commun – une manière d’être ensemble qui est au fond la France. Ce travaild’accompagnement est fondé sur un diagnostic personnalisé – une femme isolée venant duCongo n’a pas le même besoin qu’une famille irakienne, un mongol âgé qu’une sri lankaisemineure, etc. – et un contrat individuel le traduisant en actes, étapes, bornes. Ce contrat n’estni un instrument de coercition (cessons d’apprendre aux étrangers un prétendu socle commun auquel la plupart d’entre nous n’adhère pas et dont peu d’entre nous connaît d’ailleurs les composantes) ni un simple cours de langue. La réduction de l’intégration aux formations linguistiques est un des reflets de la déshérence, intellectuelle et opérationnelle, des politiquesd’intégration. Quand on ne sait quoi faire, subventionner les formations linguistiques est facile, et permet de se livrer à l’ivresse procédurale des marchés publics et des financements européens ; et quand on n’y connaît rien, un robuste bon sens de comptoir permet quand même de soutenir que pour s’intégrer il faut commencer (mais pourquoi finir?) par parler français. Outre que le simplisme de l’assertion la rend suspecte – nos compatriotes d’outremer et tous les étrangers francophones sont assez bien placés pour savoir que ni la langue nimême la nationalité ne suffisent – elle est au surcroît laissée inachevée : on n’a jamais évaluéles résultats d’un apprentissage qui, les meilleures années, ne touche qu’un tiers des primo-arrivants, ni recherché ce que devenaient ceux objet de ses apprentissages.
Le contrat doit donc devenir une boîte à outils élargie à tous les primo-arrivants et à toutes les dimensions de l’accompagnement social nécessaire, évalué et amendé. Ce contrat doitdurer le temps nécessaire – et celui-ci varie selon les situations : il ne doit pas être arbitraire,et devrait déterminer la durée des titres de séjour, à l’intérieur de certaines plages, pour que ceux-ci reflètent, et sanctionnent, l’intégration ou son absence. On notera au passage qu’il serait d’ailleurs bon que les titres en question reposent aussi sur le principe de bienveillance. Lorsque on accueille un étranger pour faire des études, pourquoi le mettre hors la loi un mois par an durant lequel son titre a expiré, en attendant qu’il ait produit la preuve qu’il a subi avec succès les examens de fin d’année ou s’est inscrit pour l’année suivante ? Il seraitplus simple, et d’ailleurs plus économique, de délivrer un titre pour la durée des études, dont seule l’absence d’attestation, non par l’intéressé mais par l’établissement d’études, que le cursus est suivi avec succès entraînerait le retrait. Nous devons cesser de faire de la politique d’accueil une politique suspicieuse.
L’OFII doit en conséquence voir ces moyens se renforcer considérablement, se professionnaliser, et se territorialiser. On dit ailleurs la nécessité de recréer des délégations dans certains pays d’origine. On y décrit également, le rôle crucial qu’il reviendra à l’Office de jouer dans la gestion sociale de l’asile (II-1). Chaque centime investi dans le précoce accueil en économise dix ou cent demain en réparation, prévention, ou maintien de l’ordre. Dans l’hypothèse où la réforme de l’État pourrait un jour aboutir à une gestion budgétaire
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pluriannuelle où le concept d’investissement social aurait tout son sens, il sera possible de faire comprendre au ministère du budget la nécessité d’augmenter les dotations budgétaires, naturellement gagées sur les économies futures.
Le deuxième vecteur est l’ACSE, relief de la DIV et FAS en milieu exclusivement urbain, défini par les périmètres de la politique de la ville. On doit lui réunir le relief du FAS qui est au sein de la Daic, pour construire sur ces bases l’agence française de construction sociale par l’inclusion des personnes réputées étrangères – laissant aux communicants le soin de lui trouver le joli nom qui dira tout. Elle doit devenir le vecteur principal d’action globale spécialisée pour l’intégration, travaillant sur toutes les dynamiques sociales, à l’exclusion des suivis individuels initiaux réservés à l’action de l’office. Elle doit, comme les deux autres agences, être lieu d’expertise – de conception, de recherche, de comparaison ; lieu d’élaboration de politiques spécifiques, à dimension nationale, axées sur les thématiques prioritaires : vieillissement, échec scolaire, discriminations dans l’entreprise, promotion des femmes ; maître d’œuvre, au plan local, des politiques territoriales conduites par les collectivités publiques ; financeurs, national et local des actions répondant aux stratégies définies par l’établissement ou par les collectivités ; capable, enfin, d’audit et d’évaluation pour son compte et pour le compte de tiers. Elle doit naturellement avoir un statut d’établissement public administratif et employer des fonctionnaires – il est significatif que depuis des années on maintienne nationalement et localement les agents dans des situations de contrat sans perspective de carrière avec des rémunérations faibles. L’établissement doit évidemment disposer de délégations régionales, avec si nécessaire des ramifications départementales. Le principe d’association des acteurs sociaux, collectivités, syndicats, et des populations doit par ailleurs conduire à rénover les commissions régionales (CRIPI) qui existaient auparavant, et constituaient, malgré des défauts, une utile structure de concertation, parfois de confrontation, mais toujours de participation. On pourrait du reste en étendre la compétence à l’animation des réseaux locaux des trois agences.
L’ANRU a excellemment fait ce qu’on lui demandait, et souvent un peu mieux, cherchant des diagnostics, un accompagnement et un résultat sociaux, là où on ne l’a destinée qu’à un investissement dans la pierre, dans un but de normalisation, permettant, sous le couvert d’une “mixité sociale” d’évacuer le trop-plein de populations problématiques. L’expertise et la crédibilité acquise incitent à la maintenir et la renforcer, en faisant porter sur la stratégie l’essentiel de la nécessaire réflexion. L’opérateur immobilier qu’elle est, l’aménageur, l’urbaniste, doivent résolument subsumer leurs opérations sous le social : diagnostic des besoins, identification quantitative et qualitative des résultats attendus chez les populations, entrée toujours sociale dans les choix d’opérations, élargis, de ce fait, de la reconstruction du quartier à l’aménagement en vue de son habitat du bassin de population, en faisant porter les investissements partout où ils sont nécessaires pour que toute la population soit in fine bénéficiaires de son intervention.
C’est l’occasion d’évoquer un opérateur au statut incertain au regard des objectifs ici décrits: ADOMA. L’ancienne Sonacotra aurait relevé il y a dix ans naturellement d’un rapport sur l’intégration. Il est discutable qu’elle appartienne encore à ce champ. Elle en relève certainement en raison des foyers de travailleurs migrants de son parc, qu’elle doit achever de rénover, dans les délais réduits qu’on a dits. Elle n’en relève nullement une fois les occupants de ces foyers de travailleurs migrants décédés, étant un gestionnaire d’un logement social intermédiaire entre le logement d’urgence et le logement social, composé de foyers et de résidences sociales destinées à des publics cheminant vers le logement de droit commun.
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Si l’État souhaite maintenir un opérateur spécialisé dans le logement de populations qui, pourl’essentiel, comprendront au travers de publics en difficulté des publics d’origine étrangère ou réputée telle, il faut alors en tirer toutes les conséquences : ce ne peut être une entreprise commerciale, son action ne relève pas du logement social de droit commun, et moins qu’un actionnaire, elle doit avoir une réelle tutelle, opérationnelle et compétente. L’ANRU pourrait alors jouer ce rôle. Si au contraire, une fois résorbé l’héritage historique, on veut voir en ADOMA une entreprise certes d’avant-garde et expérimentatrice, mais sans spécificités liées aux politiques d’intégration, elle n’a pas sa place dans le dispositif public en cette matière. Tout au plus pourrait-on songer à ce que l’excellent travail accompli dans la rénovation des foyers de travailleurs migrants soit placé sous le signe d’une implication, d’ailleurs historique,de l’ACSE rénovée dans la gestion, notamment dans sa dimension sociale. On pourrait ainsi imaginer un secteur à part des foyers de travailleurs migrants, qui obéirait une logique différente, et d’ailleurs à des financements également distincts.
La tutelle des agences doit être multiple – ministres principalement chargés de l’intégration, de l’immigration, des affaires étrangères, du logement, de la ville, de l’aménagement du territoire, des affaires sociales, de l’éducation, de l’égalité homme/femme, de l’emploi, de la recherche, et, accessoirement, du budget, selon les agences, sans oublier l’urbanisme, la culture, etc. Pour qu’elles ne deviennent des principautés autonomes, l’excès de tutelle aboutissant à son absence, il faut concevoir la réorganisation des agences comme un renforcement du pouvoir d’État, non une démission au profit de quelques spécialistes. Le Parlement doit valider des stratégies d’action, dont résulteront des trajectoires budgétaires claires, avec des résultats mesurables et audités – le mandat de leurs dirigeants pourrait alors être allongé dès lors que les critères de leur succès et de leurs échecs seront ainsi clarifiés. Le conseil d’administration doit de ce fait devenir non un lieu de palabres sans pouvoir, en cherchant à y associer des personnalités dites (sans rire) qualifiées ou issues des associations prises en otage, mais un lieu de pilotage et de contrôle, réduit à un nombre restreint de membres choisis pour de réelles compétences de gestion de l’action sociale. Il est en revanche souhaitable de créer des structures de dialogue et d’échanges au niveau territorial (les anciennes CRIPI qu’on vient de mentionner) comme national (en accroissant à cette fin le rôle de la commission nationale consultative des droits de l’homme)
Pour assurer la coordination, en dehors des échanges informels entre équipes, il est possiblede mettre en place un pacte d’exercice de la tutelle, définissant droits, devoirs (budgétaires) et modes d’intervention en régime normal et perturbé, pour que sa multiplicité ne nuise pas à son efficacité, et une structure de coordination, réglant les conflits de frontières ou de programmes entre agences. Loger les délégations régionales de chacun des établissementsdans les mêmes locaux, (en partageant la logistique pour réduire les coûts), et créer, au plan national, une agence commune de moyens pour l’administration des fonctions de support, sous la direction commune des trois agences, dégagerait des marges de manœuvre budgétaire utiles en permettant la mutualisation des achats, des fonctions de gestion du personnel, de l’informatique…
Il faut sauver les associations
On a dit plus haut le terrifiant double paradoxe qui laisse aujourd’hui les militants associatifsatterrés, les politiques désemparés – et les destinataires des actions peu à peu abandonnés.
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Le premier paradoxe est celui-ci : toute notre histoire nationale est celle de l’État, de sa puissance et de ses frontières, géographiques, économiques et sociales. Rien ne peut être sérieux qui ne soit l’État. On peut le vilipender, pas excès de libéralisme, ou communisme rentré, nul ne résiste, pour lui ou pour les siens, à ses prestiges et ses attraits, son décorum(en lambeaux) et les titres ou médailles qu’il donne. On ne connaît pas de tenant de la libreentreprise, maudissant les fonctionnaires succubes de la valeur et vampires de l’innovation qui ne sorte de polytechnique, ou n’aspire à ce que ses enfants y entrent, les meilleurs critiques sont inspecteurs des finances et les plus furieux des élus tous anciens fonctionnaires.Depuis un siècle nous ferraillons sur le trop et le pas assez d’État – dans l’éducation, la culture,les entreprises, la protection sociale, etc. On a fait et défait les gouvernements, les régimes,presque les révolutions sur les frontières et la place de l’État. Et quand il s’agit de rien moinsque la fabrique de la nation – ramener nos compatriotes au cœur de notre société sans leur reprocher leurs origines, ressouder le métal national dans le creuset républicain, alors les choses paraissent claires pour tout le monde : l’État n’a, définitivement, rien à y faire. Tout –absolument tout – dépendra des associations. On les financera, soit on les encadrera, par la loi (très peu). Mais quant à agir, la sphère publique n’y fera rien – rien du tout.
Si l’on veut une illustration de la déréliction des politiques d’intégration, on tient là la plus belle. On ne veut pas dire que le fait que les associations soient à peu près les seuls acteursde l’action concrète condamnent celle-ci à la médiocrité, bien au contraire – ce qu’elles fontavec le peu qu’on leur donne est, pour la majorité d’entre elles, admirable. Mais enfin, quand même, confierait-on l’ordre public, l’éducation, l’hôpital, la culture, l’économie, à des associations ? Uniquement à elles?
Le deuxième paradoxe est encore plus troublant : confiant tout le secteur aux associations, 53on a, ensuite, entrepris de les détruire. Faisons grâce aux acteurs successifs de n’en avoir pas eu le projet, ils en ont cependant obtenu l’effet: à force de procédures, de réductions de crédits, de changements de cap, on a détruit, au bas mot, la moitié du tissu associatif. Les grands réseaux ont disparu (sauf ceux produisant du discours télévisé) ; les petites associations de pied de barre, aussi, celles à référence sociale étant insusceptibles de rentrer dans la compétition. Les autres sont au bord de l’implosion – on a maintenu leur cantonnement aux emplois aidés, leur dépendance aux multiples financements, et en dépit des discours et des quelques possibilités existantes, on a refusé toute stratégie pluriannuelle qui leur aurait permis de mieux gérer la misère. Le moindre accroc au financement les précipite dans la faillite. Ce n’était pas assez de leur demander tout sans l’avoir jamais dit, il fallait, toujours sans débat, en échange ne plus leur donner rien.
Il faut en sortir. Évidemment, au pire moment pour les finances publiques, pour faciliter les choses.
Commençons par l’honnêteté, et la clarté, de choix politiques durables. Que voulons-nous?La politique à conduire, dont on esquisse à grands traits les choix majeurs, doit-elle releverdu public ou du privé ? De service public ou d’action sociale ? Qui doivent en être les acteurs?La formation, pour prendre cet exemple, notamment linguistique, est essentielle : qui doit la délivrer : l’État, les collectivités, des entreprises, des établissements publics, ou des associations ? Le périscolaire est stratégique, qui doit le gérer: l’État, les communes, des établissements publics, des associations? On se gardera de proposer ici des choix – on demande que le débat se tienne, et qu’on en tire les conséquences. Plutôt, par exemple quede déplorer que l’accompagnement scolaire réalisé au pied des mosquées, qui donne ordreet discipline dans l’étude, mais aussi ségrégation des garçons et des filles, attire de plus en
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plus les familles, posons-nous la question de savoir si nous devons vraiment nous en remettre à des initiatives associatives fragiles pour les concurrencer plutôt qu’à un service public de l’étude assurée par les maîtres et par des formateurs rémunérés par l’État ou les communes. Par le passé, l’État a nationalisé, de facto, des associations dont il subventionnait à 100 % un fonctionnement qu’il déterminait entièrement, comme par exemple, le SSAE; qu’on apprécie les mérites économiques, sociaux, politiques, démocratiques de chaque solution, ceux de leur mélange et de leur émulation (comment on y appelle pour les maisons d’asile en partant du modèle associatif combiné aux modèles publics). Mais qu’on tienne, enfin, pour la première fois, ce débat! Non pas dans des grand-messes pré-écrites, assises associatives, et autres mises en scène à finalité instrumentale, mais en commençant par un débat politique : que l’État prenne ses responsabilités, au Parlement, et dessine le champ dévolu à ou partagé entre chaque type d’acteurs si vraiment on veut concurrencer trafics, facilités et mosquées – qu’on décide du professionnalisme (fût-il associatif avec des emplois sûrs, qualifiés, bien rémunérés) qu’on veut y mettre.
Parallèlement à ce débat, et en urgence, il faut retrouver les voies et moyens d’un sauvetage puis d’une pérennisation du tissu associatif, car pendant les débats, les travaux continuent, et tenir les débats sans agir aboutira à un choix par défaut – faute d’associations survivantes, on pourra décider qu’elles n’ont plus aucun rôle à jouer.
La disette budgétaire ne se résorbera pas, et l’on doit donc raisonner à budget constant à ce stade – le cas échéant redéployé, et élargi par des économies suggérées ici ou là parmi les propositions déjà faites. Les crédits nouveaux viendront du secteur privé (proposition d’échanger le financement de fonctionnalités sociales contre l’augmentation des droits à
54 construire, et proposition d’objectif politique à financer par les organismes agréés ou investis, cf. les chapitres II-2 et -4 consacrés au logement, et à l’action des services de droit commun).
Même à crédits constants, plusieurs améliorations sont possibles.
La première, sempiternelle, est procédurale. Depuis qu’on a décidé (vraisemblablement au début de l’empire romain…) d’unifier les exigences des différents financeurs, on n’y est jamais parvenu ou très partiellement. Cessons d’être intelligents, donc devenons, provisoirement, brutaux. Demandons à un médiateur associatif national (dont on explicitera plus bas la mission) de proposer, dans le mois de sa nomination, un dossier unique de quatre (version simple) à huit pages (version sophistiquée) avec un contrat type (une page et un renvoi à des clauses générales disponibles sur Internet d’un simple clic) et un mode de gestion (pièces justificatives et contrôle, une page dans chaque cas limité à dix pièces justificatives au plus) ; puis indiquons, par une circulaire du Premier ministre, que les subventions seront désormais demandées exclusivement sur cette base, à n’importe quelle personne morale de droit public. Aucun organisme ne diffusera de dossiers de subventions, il sera possible à chaque association de télécharger cette demande quel que soit le financeur auquel elle s’adresse. Il sera interdit au comptable de payer autrement que sur cette base. Tout dossier comprenant d’autres éléments que ceux prévus sera rejeté et transmis au médiateur. Tout financeur voulant utiliser un autre formulaire, ou demander d’autres pièces, pourra être dénoncé par le demandeur des subventions au médiateur, qui infligera, ainsi qu’en cas d’exigences supplémentaires, après une procédure contradictoire, une sanction, publique, représentant un pourcentage de la subvention initialement demandée. C’est violent, c’est même brutal, c’est idiot, soit. Depuis trente ans qu’on est concertatif et intelligent, sans aucun succès, il est peut être permis qu’ici aussi les brutes de passage remplacent brièvement les sages de permanence.
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Quant au médiateur, on propose qu’il soit nommé par le HCI, pour un mandat non renouvelable de cinq ans. Il devrait pouvoir être saisi quand les associations estiment faire l’objet d’un traitement manquant de neutralité de la part d’un financeur – cas hélas fréquent, d’élus ou de fonctionnaires, qui n’admettent pas qu’on puisse à la fois être financé et demeurer critique). Son rapport public et son intervention devraient permettre de dissuader bien des pratiques.
La deuxième catégorie de mesures vise le mode de subventions.
Les pouvoirs publics achètent parfois des actions : par exemple la formation linguistique. Ils sont condamnés à recourir à des appels d’offres. Y répondent désormais de quasi entreprises, aptes à gérer ces procédures complexes et à survivre aux modalités de financement communautaire. Ce faisant, on a peut-être gagné en capacité de contrôle et en rigueur, mais on a aussi assassiné les actions à dimension sociale. Bien sûr, apprendre le français est un métier – mais quelques femmes partageant la culture des primo-arrivants et leur enseignant les rudiments de la langue, non seulement sortent de chez elles, trouvent un statut et une activité sociale, mais en outre apprivoisent, passent des valeurs, inspirent des comportements – choses qu’un formateur formaté sera incapable de faire. On ne sait pas, faute d’évaluation, ce qu’a apporté l’appel d’offres, ou sa variante déconcertante de l’appel à projets (on préférerait quand même que l’État en ait un), mais on voit en revanche tout ce qu’il a coûté, c’est-à-dire la vie à de trop nombreux partenaires précieux.
Pour les reconstituer, il faut surmonter deux interdits. Le premier est communautaire, c’està-dire français puisque l’Europe c’est nous aussi, imposant la mise en concurrence. Maintenons-la partout où elle est bénéfique – mesurons, étalonnons, évaluons. Ailleurs, on a le droit de s’en dispenser quand on fait soi-même. Là où le débat national n’aura pas appelé à l’internalisation (par exemple des centres d’apprentissage du français pourraient avoir des fonctionnalités que nous désirerions qu’ils aient) peut-on imaginer de créer de nouveaux êtres moraux? Comme il y a des sociétés d’économie mixte (SEM), associant les vertus du contrôle public et de l’activité privée, créons donc des structures hybrides, propriétés d’État par leurs capitaux, pleines de la vitalité et surtout de l’indépendance associative par leur gestion. Ces établissements associatifs seraient propriété publique, par émission d’un capital souscrit entièrement par la collectivité de rattachement. Ce capital serait consommable, mais servirait ainsi à la fois de garantie (pour les autres financeurs versant des subventions, montrant et gageant que l’intérêt de l’État est entier, que la structure est pérenne, qu’elle peut affronter des aléas, qu’elle est rigoureusement gérée) ,de levier (pour inciter les financeurs, notamment les prêteurs, à s’engager), de vecteur de contrôle (via un représentant au pouvoir légalement limité, une sorte de censeur) d’assurance (permettant in fine d’assurer la reconversion des salariés en cas de non-renouvellement du capital). La gouvernance, le personnel, seraient associatifs – bénévoles, avec un projet, librement gérés, mais ayant su intéresser l’État. Avantage : ainsi dotée de ce capital, par l’État, la structure peut recevoir des subventions sans appel d’offres, elle est pour l’État “in ho use”, incorporée à l’État et comme telle échappant à la concurrence – on peut calibrer les subventions envers ces structures avec finesse, en fonction de leur rendement social, humain, qualitatif, pas sur la base de taux horaires et de prestations quantifiables.
Le deuxième interdit à surmonter est celui prohibant le financement des structures. Par un étrange impératif, toujours trahi évidemment, on ne subventionne pas des structures, mais des projets. Quand on connaît certaines divas associatives aux déficits récurrents et qui parfois donnent à la Cour des Comptes une raison d’être supplémentaire, on peut sourire. Mais l’oukase est là. Levons-le : cessons de nous mentir. Il est bon que partout existe un
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tissu associatif, actif, ouvert, lieu de militantisme et de rencontres. Acceptons dans ce cas de financer non des prestations identifiées (que les demandes de subventions se contorsionnent à décrire) mais des lieux aux fonctionnalités sociales établies, dont l’existence seule mérite un soutien public par nature – selon des critères objectifs (ouverture aux habitants, services disponibles, et méthode utilisée…).
La troisième catégorie de mesures vise la nature même des subventions : pourquoi toujours les réduire à un montant donné de subventions de fonctionnement? On ne vise pas seulement à élargir la réflexion à un autre type de flux financiers : dotations en capital comme esquissé plus haut, mais aussi garantie de l’État (pour emprunter en l’attente de flux financiers décidés mais sûrs, comme les financements communautaires), dépenses fiscales au profit des entreprises intervenant au soutien du tissu associatif (déductibilité des subventions versées aux associations aidant à lutter contre les discriminations ou permettant une meilleure insertion de l’entreprise dans le tissu urbain par exemple)… On vise surtout une forme de concours en nature passant par la mise à disposition de salariés. La professionnalisation des acteurs est en effet essentielle, et recruter les cadres de haut niveau est à peu près impossible à la plupart des structures. Concevoir pour les fonctionnaires et agents publics des modalités de déroulement de carrière leur permettant d’être affecté en tout ou en partie pour une durée donnée, dans une association de terrains, est possible, et ne demande qu’une volonté de construire un programme d’ensemble et de ne pas pénaliser ceux optant pour un tel choix. Le mécanisme a été trop utilisé par le passé sans transparence sur des effectifs engagés et sur leur contribution réelle. Il faut concevoir un volume de masse salariale, allouée comme des subventions, des filières (faut-il – et parlons-en avec les associations – des contrôleurs de gestion, des médecins, des nutritionnistes, des formateurs… les besoins devront être établis en coordination avec les priorités publiques), des modalités concrètes de partage, en veillant à ne pas détacher des fonctionnaires doublonnant les personnels existants, mais bien des spécialistes autrement inaccessibles au tissu associatif.
Quatrième catégorie de mesures, rejoignant la précédente, celles relatives au personnel employé par les associations. Très généralement, les associations ne peuvent en recruter – et le bénévolat ne peut pourtant suppléer à tous. L’emploi créé est le plus souvent précaire, mal rémunéré, et le recours à l’emploi aidé – avec sa fragilité, sa brièveté, est fréquent et récurrent. Plus rarement, mais hélas, parfois, on trouve aussi des associations où les personnels sont rémunérés sur subventions d’État mieux que les fonctionnaires, pour une charge de travail inférieure, ce qui a pu conduire à des conflits, des procès, et des absorptions de structure. Aider les associations, c’est d’abord négocier au plus tôt une convention collective du tissu associatif d’action sociale (quitte à l’élargir plus tard) en veillant à y privilégier des axes aujourd’hui ignorés : la formation des salariés, à laquelle les régions devraient veiller avec un fonds de solidarité auquel elles cotiseraient d’autant plus qu’elles ont moins de quartiers et de populations concernées ; la valorisation des acquis de l’expérience, notamment en imaginant un droit à formation académique complémentaire (en IUT, en université, en grandes écoles) proportionnel au temps passé dans le poste, et défini d’emblée par le contrat (on veut ici attester qu’après dix campagnes de demande de subvention, un salarié associatif bac -3 est au point pour rejoindre la direction générale des finances publiques dans un emploi de catégorie A: pourquoi ne pas lui donner le droit à une formation à l’école nationale des impôts en vue d’un recrutement au tour extérieur ?) ; la création d’un régime social spécifique complémentaire pour gérer le fait que les contrats de travail sont souvent liés à un projet, et ne peuvent être pérennes – en le finançant avec une cotisation stabilisatrice des subventions (augmentant avec les variations à la baisse, se réduisant avec les variations à la hausse)…
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Rien cependant ne doit réduire l’importance du premier acte à poser: avant l’argent, les associations ont besoin de lire et comprendre une politique claire leur assignant un rôle net, et qui les considère, les comprenne, et demeure constante.
La bienveillance à laquelle on appelle doit aussi ici s’exercer. Quand dans un quartier trois gamins décident de fonder une association et, malhabiles, vont demander une subvention, on ne peut pas ignorer qu’il s’agit du premier acte civique de leur vie. Quel que soit le guichet auquel ils vont frapper, il doit leur présenter un visage bienveillant, généreux, compréhensif, et reconnaissant. Les trois demandeurs maladroits sont nos dirigeants de demain. Soyons capables de les aider et de reconnaître en eux une partie de notre génie commun. De même qu’on appelle à ne pas faire de l’étranger a priori une menace, sachons reconnaître dans le tissu associatif balbutiant et renaissant notre chance de réparer les accrocs du tissu social et de voir émerger une nouvelle génération de militants et d’acteurs responsables. Une association qui se crée, c’est un devoir civique qui s’accomplit – cela crée parmi ses membres des droits sur nous tous.
Des fonctionnaires d’élite
Pour qui aime les allégories martiales un peu vieillottes, disons que pour les hussards noirs à former, la nouvelle frontière sur laquelle porter l’élite de nos forces est celles de l’intégration.
Aujourd’hui, à d’infimes exceptions près, nous appliquons à l’envers le principe républicain d’égalité : pour assurer à ceux qui n’en bénéficient pas – parmi les plus atteints nos 57compatriotes et frères d’origines étrangères – son respect, on s’interdit absolument de déployer au sein des services publics la moindre compétence spécifique, renvoyant, là où il est impossible de ne pas offrir une prestation différenciée visant à rétablir l’égalité, au tissu associatif le soin de déployer les compétences requises. Il ne s’agit évidemment pas de déployer une médecine ou une éducation pour immigrés – comme on a des services des étrangers et encore des foyers de travailleurs migrants. Mais de reconnaître avec lucidité ce qui est : pour s’adresser aux problèmes identifiés – un manque de savoir-faire social, une insuffisante maîtrise culturelle, ou de la langue, une mutilation partielle des capacités sociales, – lorsque qu’ils reposent sur l’origine attribuée ou réelle, il faut un savoir-faire et des connaissances distinctes de celles ordinairement requises. À défaut, comme on le voit aujourd’hui, le système blesse, heurte, éteint, ignore. Ce savoir s’acquiert souvent par l’expérience, et celle-ci, précieuse, doit alors se capitaliser, se recueillir, se diffuser, et s’exploiter: or le système est fait de telle façon que le fonctionnaire par exemple de police qui au terme de longues années, a acquis un particulier savoir-faire dans les quartiers, sera nécessairement promu, comme du reste son collègue enseignant, dans une campagne paisible, la période ZEP ou ZUS paraissant un mauvais souvenir à oublier, pour l’employeur comme pour l’employé.
Si ce constat a été fait, on a voulu lui donner une réponse mécanique qui n’est pas très subtile, ni pour ceux auxquels elle s’adresse, ni pour ceux dont il s’occupe – bonification indiciaire ou d’ancienneté, règles de gestion reconnaissant la difficulté de la tâche ou traitant l’affectation dans la zone géographique concernée comme une sorte d’initiation à laquelle, en cas de survie, donner une suite plus valorisante. La question qu’on veut traiter ici n’est pas celle de la difficulté du métier, mais de l’adéquation des compétences et de la valorisation professionnelle de leur détention.
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On doit en premier lieu reconnaître, au fur et à mesure, les capacités techniques requises là où, essentiellement pour les primo-arrivants, on travaille à partir des spécificités culturelles et linguistiques : un agent travaillant à la délivrance des titres, à la reconnaissance d’un statut, au contrat d’accueil et d’intégration, a des connaissances et une expertise que le temps bonifie il est possible de les exploiter, de les reconnaître – comme un titre ou une compétence, pour formaliser et conduire la formation de ses successeurs, et comme une aptitude à prendre ensuite en compte pour la carrière.
Car on doit, ensuite, pouvoir créer au sein des fonctions publiques – au regard de leur rôle essentiel décrit dans les différentes propositions de ce rapport – une filière, un parcours, une communauté d’agents déployant ses capacités et ses aptitudes. Il ne s’agit pas – sans l’exclure là où c’est justifié bien sûr – de poser systématiquement une équation entre “travail avec les étrangers égale difficultés rémunérées », qui laisserait croire qu’il faut bien du courage pour s’intéresser à eux, ou qu’il y aurait un risque particulier, indemnisé, à le faire. Mais plus simplement, au même titre que, dans une entreprise, les compétences horizontales qui transcendent un exercice fonctionnel sont régulièrement analysées au travers du prisme d’une communauté de talents, transcendant et fédérant les métiers, de créer un vivier, et de permettre à des dynamiques de carrière de s’y déployer : il n’est pas souhaitable qu’un officier de protection de l’OFPRA le soit quarante ans, mais quel rendement serait le sien si, ayant servi durant quelques années avec attention dans l’analyse des persécutions politiques d’une zone géographique, il pouvait, dans un service ambulatoire de médecine, gérer le contact avec ceux ayant besoin après l’asile d’un suivi médical post-traumatique – ou, demain détaché dans une association, ou auprès d’un office public de l’habitat, continuer à suivre des publics qui pourraient ainsi bénéficier de sa connaissance des sociétés d’origine?
La reconnaissance de compétence permettrait alors d’élaborer des stratégies de valorisation de celle-ci, qui peu à peu contribuerait à l’idée que les meilleurs parmi les fonctionnaires recherchent une participation à la tâche de fabrication de la nation, par une action sociale experte, reconnue, transcendant les frontières des corps et des statuts.
Rien en la matière n’est possible sans une implication intense des partenaires sociaux. Cette négociation-là – trans-fonctions publiques, l’État doit y être représenté par ses experts, ses formateurs, et les dirigeants principalement concernés et doit associer à côté des organisations syndicales élus locaux et responsables associatifs. Elle doit imaginer des méthodes de remontée d’expérience (à partir des institutions représentatives du personnel de terrain et de la parole des agents) pour discerner les premiers chantiers – formation, création de réseaux, identification de passerelles entre statuts, lieux de retour d’expérience. Une expérimentation sur une grande région permettrait de proposer ensuite un accord-cadre national. Ce serait la meilleure illustration de ce que la politique d’intégration est une affaire sociale – faite non de mot d’ordres nationaux et de mécanismes réglementaires, mais d’une dynamique humaine aux acteurs multiples, engagés, et tous plus imaginatifs qu’un arrêté ministériel.
Avant de clore ce chapitre qu’on aurait préféré terminer par une note d’espoir, il faut malheureusement appeler à ce que le Premier ministre, qui dispose de l’administration, rappelle par dix lignes un peu sèches ceci : être fonctionnaire, c’est incarner la République. À tout instant dans l’exercice des fonctions, la devise de la République engage chacun d’entre nous. Plus on s’élève dans la hiérarchie, plus cette exigence morale et juridique s’impose avec rigueur. Aucun fonctionnaire n’a le droit de moquer, ridiculiser, et encore moins combattre, ou
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nier, nos compatriotes quelles que soient leurs origines, ou les étrangers qui viennent à êtreen contact avec notre État quel qu’en soit le motif. Chacun a droit à notre plus entier respect, en tant qu’être humain, qui à ce titre a le droit d’exiger de notre État respect, courtoisie, et bienveillance, quels que soient sa situation juridique, ses droits, son statut.
Si l’on croit devoir finir sur ce rappel, c’est que les contacts qu’on a pu entretenir ici ou là dans la préparation de ce rapport établissent une très inquiétante dégradation du standard de relations avec le public quand il est d’origine étrangère ou de confession musulmane, qu’on peut à la rigueur comprendre, sinon excuser, chez un agent de terrain objet parfois de pressions, de risques ou de dangers dans son exercice professionnel, sans qu’on ait pu aujourd’hui lui fournir les exemples, les règles et les moyens de les surmonter, mais qui, chezun cadre supérieur, devrait systématiquement, immédiatement, et publiquement, appeler les sanctions disciplinaires les plus fermes et la mise à l’écart la plus rapide.
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On a assez dit que la politique d’intégration ne pouvait se confondre avec celle d’immigration pour ne pas comprendre qu’on soit surpris de voir aborder ici au préalable la question de l’asile politique.
On le fait pour trois raisons essentielles.
La première raison est que le dysfonctionnement majeur actuel de la politique d’asile est la source principale d’arrivée d’immigrants clandestins sur notre territoire. Mettre fin à la fabrique des clandestins par l’État est la précondition de la relance d’une politique d’intégration fondée sur le droit et la dignité.
La deuxième raison vient de l’indignité du sort fait à ces populations. Si nous voulons demeurer crédibles en reconduisant à la frontière ceux dont nous estimons qu’ils n’ont pas ce droit au séjour, nous devons – et d’abord vis-à-vis de notre propre conscience – veiller avec la plus grande rigueur à respecter le principe de dignité.
La troisième raison, des plus cyniques mais des plus fondées, est que le dysfonctionnementdu système constitue une charge budgétaire en train de devenir insupportable. L’ensemblereprésente un coût qui cette année encore conduit à rogner les crédits d’intégration au profitde ceux de l’asile, qui doit consommer pas loin d’un milliard d’euros… Une réforme complète du processus est nécessaire pour qu’il permette de statuer dans un délai de droit commun de quelques mois sur la totalité des demandes avec des décisions d’une qualité telle qu’unefraction seulement fera l’objet d’un recours, qui devra lui-même être jugé dans un délai bref.
Du fait de conditions dignes d’accueil et d’hébergement et de suivi, on pourra reconduire à lafrontière ceux des demandeurs qui ne réunissent pas les conditions requises pour bénéficier d’un titre de séjour au titre de l’asile ou d’un autre titre, beaucoup plus facilement. Loger, accueillir, protéger, soigner les demandeurs est façon de commencer l’intégration de ceux auxquels on donnera asile, et de faciliter leur départ s’il est refusé. Il est essentiel qu’une réflexioncollective commence et débouche au plus vite : ne pas lever cette hypothèque compromettrait lourdement les espoirs qu’on place dans l’ouverture des chantiers décrits ci après.
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La politique d’intégration est la politique: toute politique doit être politique d’intégration
On s’étonnera, légitimement, de ne pas trouver ici les mesures radicales relatives à l’emploiet à l’éducation qu’il est convenu – et pas vraiment à tort – de regarder comme deux leviersmajeurs d’une politique d’intégration. L’explication est assez simple : là comme ailleurs,il ne saurait être question de conduire une politique spéciale destinée à assurer la réussite de l’éducation des enfants concernés ou de procurer des emplois aux étrangers et à leurs descendants. On a déjà dit pourquoi il est impossible d’identifier les publics, ce qui rend nécessaire de passer par les territoires, où on peut parier qu’ils seront majoritaires, mais jamaisseuls ; et pourquoi, de ce fait, il était impossible de concevoir des droits aux prestations autresque ceux directement liés au passage de la frontière. Il en résulte que, en dehors de ces cas,il faut soit conduire une politique fondée sur une caractéristique différentielle objective – par exemple porter une attention et des moyens particuliers aux enfants dont le français n’est pas la langue maternelle, ou pas la langue parlée au foyer; soit simplement (simplement !) veiller à ce que l’appareil administratif et social des services publics de droit commun ne reflète pas les ratés de la mécanique sociale d’intégration, mais au contraire vise à les corriger aussi. Or nous en sommes loin, sur ce dernier point – désespérément loin. La fonction publique, égalitaire grâce à l’anonymat du concours, devrait, contrairement aux états-majorsdes grandes entreprises, offrir un encadrement supérieur au visage diversifié: non seulementil fait injure (dans les grands corps particulièrement) à l’égalité homme/femme, mais ignore à peu près nos compatriotes issus des quartiers, où d’ailleurs d’outre-mer; il en va de même dans les armées, la magistrature et même l’enseignement supérieur. Là où la raison d’être et
60la règle de fonctionnement sont l’égalité absolue, au cœur du service public républicain, on constate – sans évidemment que quiconque l’ait conçu ou voulu, ce n’est que le résultat objectif d’un fonctionnement social collectif, – que les enfants d’origine étrangère réussissentplus mal à l’école, intègrent très peu les filières les plus prestigieuses ; et quand même ils yparviennent, le retard à l’accès à l’emploi est plus important, le chômage plus fréquent et pluslong, les interruptions de carrière également, et l’accès aux responsabilités plus rares. Il en va malheureusement ainsi non seulement dans l’État, à l’école et au travail – mais partout.
On laissera de côté les explications qui ne sont pas que stupides mais aussi criminelles : non, répétons-le avec lassitude et férocité à ceux qui n’ont pas encore compris, les étrangers – les Arabes, les musulmans, les Africains– ne sont pas des fainéants, moins intelligents, morphologiquement doués pour la course à pied plutôt que la physique quantique, et affectédu double gène du cambriolage et du terrorisme. Ajoutons, pour les exaltés nostalgiques quicroient monter au Vercors en manifestant place du Trocadéro, que l’État n’est pas raciste, nises agents vichystes, ni le système fondé sur la volonté de discriminer. Redisons la doublenécessité de la lucidité – les services publics ne corrigent pas les difficultés sociales dues aux origines réelles ou supposées – et d’intelligence – il faut démonter les mécanismes et remonter patiemment chaque pièce pour obtenir un autre résultat.
Le ministère compétent – de la fonction publique ou en charge de la réforme de l’État, comme celui en charge de l’intégration – doivent prendre le temps, aidés par la recherche, de la compréhension de la discrimination spontanée qui régit trop souvent le fonctionnement des services. Il ne s’agit pas de dénoncer, mais de comprendre : observer les résultats et discerner pourquoi des cloisons de verre existent, pourquoi les parcours sont, sous les apparences de liberté, en réalité implicitement et implacablement fléchés – ici dans l’orientation, la dans les outils mis à disposition, ou encore dans la gestion des services.
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Il faut ensuite que ces constats – à soumettre au dialogue social interne au service, pour les partager sans esprit de vindicte envers les agents qui seront demain les principaux acteurs de l’évolution – servent à bâtir les stratégies de correction. Elles ne peuvent reposer sur des mesures générales, rêve politique que la réalité se charge de démentir très vite comme si on pouvait se défausser du problème avec un slogan (comme le CV anonyme, les statistiques ethniques, ou tout autre mesure radicale immédiate aisément compréhensible pour un journal télévisé), tout sera lent et compliqué, et demandera expérimentation. Ce que l’on peut proposer de général est ceci : obliger à agir, donner les outils le permettant, qui feront la plus large place à l’autonomie et à la mise en œuvre des intuitions locales. L’obligation – qui ne peut se borner à l’injonction politique dont la durée de vie est faible, du genre “je vous invite à prendre en compte l’intégration dans tout ce que vous faites” – doit passer d’une part par la norme, d’autre part par la publicité des résultats.
L’obligation – légale – doit être sur la base d’un constat, de fixer des objectifs simples et mesurables de réduction des phénomènes les plus significatifs entraînant l’exclusion des publicsréputés étrangers dans la société au travers des actions conduites par chaque service public dans chaque ministère ou établissements. Un délai doit être donné pour effectuer le constat, en remplaçant la nécessité de son actualisation, un autre pour identifier les objectifs et les quantifier,sur une durée de planification de trois à cinq ans. Cette obligation partagée par tous les ministères, tous les services déconcentrés, tous les établissements publics sans aucune exception sera souvent un objectif de diversité au sein du personnel à tous les niveaux, ou d’accès amélioré auservice, ou d’amélioration de la qualité du service pour les personnes visées, selon les cas. Onpeut ainsi imaginer que tel service en charge de l’habitat se donnera des objectifs de mixité socialeaussi bien dans l’habitat social que dans l’habitat urbain en général, que tel service en charge des sports aura des objectifs quant à la diversité d’origine des dirigeants et pas seulement des pratiquants, ou pour l’accès des classes les plus modestes aux sports les plus élitistes, etc.
La plus grande latitude doit être donnée aux services pour définir les moyens de parvenir à leurs objectifs, et la loi doit autoriser largement des dérogations expérimentales aux principes habituels sous forme de discrimination positive provisoire ou de règles exceptionnelles. Une très large autonomie locale doit notamment être envisagée, sous des formes diverses, pour rechercher les meilleures voies d’action : les établissements locaux d’enseignement devraient ainsi pouvoir se fédérer, pouvoir regrouper budget, effectifs, moyens, de pouvoir sortir du cadre national contraignant pour développer horaires, pédagogie, niveaux, mélange de l’intra scolaire et du périscolaire pour atteindre leurs objectifs ; la même démarche devrait être envisagée pour les bassins d’emploi les plus touchés, à l’hôpital, etc.
Dans l’hypothèse, hélas crédible, où un ministère ou un établissement ne définirait pas ses objectifs dans les délais requis, le constat de sa carence devrait conduire à l’intervention de l’agence en charge de l’intégration qui, dans un délai bref, en utilisant son expertise, se substituerait au service concerné pour, sur la base du constat réalisé et de son propre diagnostic, fixer des objectifs qui s’imposeraient alors. Il reviendra ensuite à chaque ministère et établissement de rédiger un rapport annuel, qui sera communiqué au HCI, qui transmettra avec ses commentaires la synthèse complète des rapports aux commissions parlementaires compétentes. Sur cette base, celles-ci proposeront à l’Assemblée nationale et au Sénat lors d’un débat annuel l’évaluation des programmes poursuivis, les recommandations de modification et, le cas échéant, au vu des échecs constatés, adresseront les injonctions utiles.
Dans les cas de carence les plus extrêmes, il devrait être possible de placer en régie les services défaillants, en permettant à l’agence en question de se substituer à eux pour la
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conduite des actions nécessaires pendant une période donnée, exactement comme une chambre régionale des comptes peut placer sous la tutelle du préfet un budget local défaillant. On ne propose pas d’étendre cette faculté de régie aux collectivités territoriales, car le suffrage universel y exerce une pression d’autant plus directe qu’il sera un jour étendu à l’ensemble des étrangers, et aussi parce que les difficultés juridiques déjà présentes dans la mise en œuvre cette proposition seraient encore plus importante.
La mobilisation générale des services de droit commun devrait également se traduire par l’obligation faite par la loi de réviser dans un délai bref l’ensemble des régimes d’autorisation administrative pour, partout où cela est possible, prévoir un mode de décision plus souple, plus ample, en échange d’une implication du bénéficiaire de la décision dans les politiques d’intégration. On a déjà esquissé ce système pour ce qui concerne les autorisations de construireou d’aménager. On devrait pouvoir y penser aussi lorsque l’on investit par exemple des tiers deprérogatives de puissance publique : toutes les structures ordinales, plus généralement toutes les réglementations professionnelles, devraient comporter une obligation de prendre considération l’intégration et d’obtenir des résultats. Qu’il s’agisse d’un conseil national de l’ordre d’une profession médicale, des barreaux, ou de fédérations sportives, les statuts, et l’agrément, devraient prévoir des objectifs en matière de diversité, de formation, ou d’accès auxdroits. Il en va de même pour les autorisations d’urbanisme commercial, toutes les autorisations de nature économique,… Une loi-cadre devrait autoriser chaque ministère à procéder par ordonnance dans le cadre de son plan en faveur de l’intégration proposé plus haut à la mise en œuvre de ce régime alternatif de bonification sociale des autorisations administratives.
Laissons prier les musulmans!
La “question musulmane”, pure invention de ceux qui la posent, ne cesse d’enfler et de soucier, de polluer le débat public, et de troubler jusqu’au délire les meilleurs esprits. À l’islamisme – revendication publique de comportements sociaux présentés comme des exigences divines et faisant irruption dans le champ public et politique – répond un laïcisme de combat, furibond et moralisateur, qui mêle dans un étrange ballet les zélotes des racines chrétiennes de la France,qu’on n’attendait pas au chevet du petit père Combes, et républicanistes tout aussi intégristes, qui semblent n’avoir de la liberté qu’une idée terrifiée, où, hélas, souvent terrifiante.
On a assez dit plus haut le double devoir d’intelligence et de bienveillance pour n’y pas insisteravec une toute particulière exigence mêlée de gravité, et, en même temps, d’un peu d’amusement.
Le devoir d’intelligence vise en premier lieu à inviter chacun à considérer sans a priori le fait religieux au XXIe siècle et à prendre connaissance des faits. Très généralement nous ignorons désormais à peu près tout des religions, notamment de celles historiquement prédominantes sur notre sol – judaïsme, et christianisme dans ses versions protestantes et catholiques, elles-mêmes ramifiées amplement. Nous ignorons encore plus l’islam et ses innombrables variantes, présenté comme une religion monolithique alors qu’elle est traversée de courants et d’oppositions plus encore peut-être que tout autre, sans compter le bouddhisme, et ses branches, et quelques autres religions… L’idée même qu’un comportement – alimentaire, vestimentaire, entre autres, – puisse être dicté par une croyance nous est devenue étrangère. La sécularisation de notre vie sociale rend tout geste d’inspiration religieuse étonnant et, par suite, incompris, dérangeant et suspect. Commençons donc par comprendre et connaître. Il ne s’agit pas de restaurer l’éducation religieuse à l’école, mais d’instiller dans la société entière, en commençant d’ailleurs par la classe politique, la connaissance du fait religieux.
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Le devoir d’intelligence impose ensuite ce que nous cessions de faire des contresens historiques, en recyclant les valeurs des années 1900 pour traiter les problèmes des années 2000. La laïcité, n’est pas, comme d’ailleurs tous les grands principes constitutionnels, un état figé du droit, mais un principe de morale publique qui structure une action publique. Elle n’est pas une condamnation de la religion, ou une interdiction, elle est avant tout l’affirmation la plus nette de la liberté : liberté de croyance, sans laquelle aucun état n’est digne du nom de démocratie ou de république ; liberté de culte, dans toutes ses dimensions– privée et publique, individuelle et collective, avec un clergé ou de doctes initiés ; et liberté, corrélative, de même valeur, de ne pas croire, donc ne pas participer au culte ; liberté de clamer sa foi et de tenter d’y rallier autrui (encore que si les dieux existent, la nécessité de recourir pour eux à des rabatteurs rend perplexe quant à la portée de leur toute puissance…), liberté de critiquer, et de juger la religion d’autrui. La liberté est un risque permanent, il n’y a que les dictatures qui soient confortables – mais nous sommes un grand peuple qui ne craint rien de la liberté – ni que telle religion la diminue, ni que les cultes la réduisent.
Quand au devoir de bienveillance, il se déduit de celui d’intelligence. Croit-on sincèrement qu’une religion, quelle qu’elle soit, pourrait durablement imposer à des fidèles aussi informés,critiques, éduqués, que le sont les Français, un credo de violence, d’intolérance, d’exclusion etde terreur? L’injure faite à nos compatriotes rejaillirait sur nous tous – nous n’aurions donc pasété capables, à l’école, sur le forum, dans notre vie politique et sociale, de faire mieux que cela?
Soyons paisibles et demeurons sans crainte. Un grand pays comme le nôtre a pour principaledéfense son intelligence. Que des millions parmi les siens aient une vie spirituelle, impliquant ou pas une divinité d’ailleurs, qui pourrait ne pas s’en réjouir? Que la ferveur, la croyance,
l’élan, l’ascèse et la discipline, soient partagés au profit d’idéaux, quelle meilleure preuve 63trouver de valeurs communes?
Mais c’est ici, on le sait bien, que le bât blesse. Récusons d’emblée que l’âne républicain porte un bât musulman – tenons nous en aux faits. L’État ne reconnaît aucun culte. Il s’interdit de ce fait de discerner le bon grain (comme les églises concordataires en étaient) de l’ivraie (comme la difficulté à qualifier ou pas de sectes des religions ou de religions certaines sectes, le montre). Il n’a donc pas le droit d’opposer une religion (ou une tradition religieuse) “du pays”, qui serait on ne sait quel judéo-christianisme de synthèse, à une religion “allogène”, que serait, bien sûr, l’islam (et qui était il y a un peu plus de soixante-dix ans le judaïsme…). Si on pense le contraire, qu’on le dise, mais on n’a pas entendu (même parmi ses récupérateurs éhontés qui en font une machine de guerre anti islamistes) que les zélateurs de la loi de 1905 en demandassent l’abrogation.
La seule limite que nous posons donc aux religions est l’ordre public. La notion est vague, et, pour tout dire, politique dans ses extrêmes et ses frontières. Elle est surtout, rappelons-nous-en, variable, immensément, avec le temps: au pourfendeur effarouché du statut qu’il pense diminué de la femme en islam, rappelons que les églises dont certains d’entre eux seréclament parfois, avaient il y a cinquante ans tout au plus et même un peu moins, une idéede la femme assez peu égalitaire ; et on ne se souvient pas les avoir entendu nous parler du péril catholique ou de la menace protestante ; aux féministes de la vingt-cinquième heure invoquant notre conception, sacrée, de la place de la femme, rappelons quand même qu’elle est assez récente – le droit de vote date de 1946, celui de faire des chèques des années soixante ; et celui de jouer un rôle dirigeant dans l’économie et la société leur est, qu’on sache, encore souvent refusé. Ceci, non pour reconnaître la légitimité de la minoration de lafemme – mais pour nous inviter à un peu de modestie et de mesure dans la façon de donner
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des leçons. Faut-il en donner du reste ? On entend ici ou là monter la demande “d’arrangements raisonnables”, comme par exemple le Québec en connaît. On les croit possible, à l’échelle du bricolage social local qui fait aussi la force de notre tissu social ; mais en rien acceptables au niveau national. Nous sommes trop cartésiens, trop napoléoniens, pour admettre une contractualisation de l’imperium. Le tissu social est trop fragile pour le déchirer du tranchant des grands mots – et arrangements raisonnables rimeraient trop vite avec anathèmes détestables : il est trop tôt, peut-être pour longtemps, pour parler calmement du fond, et partager une autre vision de l’espace public que celle qui règne aujourd’hui, rigoureuse comme un jardin à la française – dans lesquels les pelouses de la laïcité sont défendues par de sourcilleux gardiens. Soit: les parterres sont parcourus d’allées qui permettent quand même beaucoup.
D’abord, nous pouvons regarder ensemble la réalité plutôt que les fantasmes. Qu’on sache,aucun mouvement de fond n’est venu exiger que les femmes de confession musulmane puissentdéambuler en Burqa. C’est le gouvernement qui a décidé de cibler les quelques femmes ainsivêtues pour les dévêtir de la toute-puissance de la loi, inventant ce slogan, qui laisse encoreperplexe, selon lequel la République se vit à visage découvert (à supposer qu’un mode politiqued’organisation “se vive”, le rapport avec le visage des citoyens, a fortiori de ceux qui ne sont pasdes citoyens, échappe au sens. Pour l’essentiel, la revendication fondamentale des religions,islam compris, est qu’on leur fiche la paix – ce qui est à peu près ce que veulent d’ailleurs ceuxqui ne les pratiquent pas à leur encontre. Il est possible que telle ou telle confession ait des vœux supplémentaires, entendons-les, plutôt que de leur prêter des intentions.
Il ne sera pas inutile ensuite de rappeler quelques principes structurants le débat public et
64la prise de parole. Notre principe fondamental est la liberté, pour chacun, et pour tous. Cette liberté que chacun revendique expose chacun à en subir toutes les conséquences, avec la simple borne que posait la déclaration des droits de l’homme de 1789 (dont il convient d’ailleurs de rappeler aux cultes de tous ordres, sauf évidemment aux panthéistes qui en seraient vexés, qu’elle a été proclamée “sous les auspices de l’être suprême”…) : ne pas nuire à autrui. Les religions sont fondées à ce qu’on les protège du mépris, et de la vindicte,mais pas à nous parler de blasphème, ou d’atteinte au sacré. Ce qui nuit est dans l’ordre civil, pour ne pas souffrir dans vos croyances, ne prétendez pas structurer l’espace public avec elles. Si vous descendez cependant dans l’arène, acceptez alors qu’on y prenne des coups (symboliques). Vous pouvez demander qu’on respecte le culte qui passe – pas celui qui prétend commander, y compris à ceux qui n’y adhèrent pas. Ce que l’État vous offrira alors, c’est la protection de la liberté, en rien celle des exigences particulières de telle religion qui voudrait affirmer la sienne en y conformant – en y asservissant – celle des autres. On dit cela non à l’islam, mais à toutes les églises, qui en ont toutes également besoin.
Le droit doit donc être la limite : dans la réinterprétation de la liberté au regard des cultes qui, en 1905, n’était pas en position d’expliciter la conception qu’ils en avaient.
Nous pouvons d’emblée concéder à l’islam, comme d’ailleurs au protestantisme des églises venues du monde anglo-saxon ou des Caraïbes, dont on ne doit pas sous-estimer l’importance, la légitimité de leurs vœux de pouvoir notamment prier dans des lieux dignes; de pouvoir revendiquer l’égalité des droits, là où l’État admet ce qu’on appelait les secours de la religion, dans les aumôneries de prison, militaire, à l’hôpital, au lycée. Toute mesure vexatoire ou discriminatoire est ici haïssable, et injustifiable – et elle suffit à jeter dans l’extrémisme nombre de nouveaux convertis, ou de croyants en revenant à la pratique, quede mauvais esprit s’emploient à chauffer à blanc à partir de faits hélas fondés. L’État doit donc
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notamment être clair sur sa volonté de permettre à qui le demande de construire des lieux de culte, en laissant les financements, transitant par la fondation créée à cet effet, émanant de fidèles ou de pays étrangers qui ne pourront ainsi s’approprier aucune mosquée (la fondation permettant d’anonymiser les financements alloués), s’y employer, sans la moindre entrave résultant notamment du détournement, hélas trop fréquents, de la législation de l’urbanisme, et même, en incitant à ce que la programmation urbaine prenne en compte les pratiques religieuses, et lui laisse l’espace requis. La vie associative liée au culte est évidemment tout aussi respectable et doit de même être protégée – éducation, activités périscolaires, loisirs, socialisation, échanges, références cultuelles sont évidemment libres.
Ne brandissons “l’inacceptable” que lorsqu’il se présente à nous, c’est-à-dire non à notre libre arbitre – libre à nous de prier ou pas et de le faire entre hommes ou en mélangeant les sexes – mais en voulant imposer au service public des prestations différentes, ou à l’espace public, des règles qui ne seraient pas partagées. Nous pouvons accepter la présence des religions dans l’espace public, non qu’elles revendiquent sa structuration. Celle-ci n’appartient qu’au législateur, qui définit le cadre dans lequel les pratiques sociales sont libres. Par exemple : lorsque la nourriture est par force fournie par l’État, comme dans les prisons, il faut bien sûr respecter les interdits alimentaires quels qu’ils soient ; lorsqu’elle relève d’une faculté, dans les cantines, rien en revanche ne le justifie – la liberté de croire au regard de ce que l’on mange ne crée pas à l’État le devoir de la fournir. Notons d’ailleurs que c’est exactement ce que comprend l’islam, contrairement à ce que ses détracteurs soutiennent. Les associations peuvent, de même, distinguer, hommes et femmes dans leur adhésion, l’État n’est pas tenu alors de nécessairement discriminer ses serviteurs pour complaire à qui voudrait, par exemple, que le soignant soit de même sexe que le patient.
À ce qui peut paraître rude dans ces réaffirmations, qu’on ne fait ici qu’illustrer de quelques exemples, on opposera un visage public plus serein : un propos assuré, qui ne craint pas la religion, considère avec mansuétude les besoins destinés à son culte, et un discours invitant la nation entière à accepter une évolution de son paysage mental. Il y aura, à l’avenir, peut-être, des mosquées – il serait bon, du reste, que les architectes pensent la mosquée française,qui créerait son empreinte de notre paysage en lui donnant une nouvelle beauté, ne singeant pas les réalisations des siècles passés sous d’autres climats, mais confirmant que les croyances passant les frontières, elles ne sont pas tenues d’y porter les habits d’ailleurs et peuvent présenter des lignes différentes et neuves. Nous avons déjà changé de mœurs alimentaires, et que le vêtement évolue nous rendra peut-être un peu moins gris, compassés,et encravatés. Quand même, reprenons-nous! La France a-t-elle jamais dépendu de ce qu’un bout de tissu – boubou ,coiffe bretonne, chèche ou béret – soit porté d’une façon ou d’une autre ? Il ne nous faut pas grand-chose pour pacifier notre horizon mental commun.
Alors, très vite, on cessera de voir en l’islam, dans la jeunesse des quartiers, l’arme absolue permettant de reconquérir le terrain perdu. Aujourd’hui, aux jeunes, cantonnés, éloignés de l’emploi et des lieux mêmes de la richesse de la vie, on apprend en direct que les hordes islamistesterroristes auxquels nous faisons la guerre à l’étranger menacent nos foyers. Diantre ! Voilà larecette ! Une barbe, un foulard, trois formules – le pauvre hère mal payé ou chômeur, déconsidéréet relégué, devient une menace, une puissance, fait la une des magazines, terrorise le bourgeois, et le fait colloquer gravement sur tous les tons du choc de civilisation qui se prépare!
Retirons ces prétextes : laissons à l’islam (aux islams, nous n’avons pas à trier) toute sa placede grande religion, laissons son culte se déployer, respectons la pleine liberté de ses croyants.Et cessons de confondre quelques malades mentaux, hélas sans confession, qui – comme hier
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nos anarchistes – croient que tuer des innocents est un mode d’action politique, avec la religion.Non, l’islam ne génère pas le terrorisme, il n’est pas inscrit dans ses gènes. Comme toute religionet comme aucune n’y a fait exception, l’histoire le montre assez, elle a ses obscurantistes et sesfanatiques. Il semble qu’aucun dieu n’ait oublié la bêtise dans sa création. À cela aucune pitiéde notre part, bien sûr: mais ils sont dans notre pays, rares, minoritaires, et sans rapport aucunavec l’islam. Considérant l’islam comme une religion paisible et respectable, on incitera peu àpeu les jeunes en mal d’identité à trouver ailleurs,inch Allah, de quoi marquer leur rage. Si ellese portait dans l’arène politique, elle y serait mieux employée. Réfléchissons à subordonner lesconcours publics ou partis, syndicats, et associations, aux adhésions venues des quartiers!
Culture: c’est aux fruits qu’on reconnaît l’arbre
Et on préférera en la matière les fruits frais aux fruits confits… Deux impasses ont été empruntées par les politiques en la matière.
La première est la voie des cultures d’origine, du multiculturalisme et de la reconnaissance institutionnalisée de la diversité. L’État, les pouvoirs publics, n’ont, pourtant, aucune légitimité pour reconnaître ou définir les “bonnes” cultures. Elles sont des faits sociaux modelés par l’histoire. Aucune ne doit être niée ou minorée. Il n’y a évidemment pas de culture inférieure ou supérieure. Mais de cette laïcité culturelle bien comprise découle, aussi, qu’il n’appartient en rien à l’État d’enseigner ou diffuser les cultures “d’origine” ; ne pas les humilier, refuser de les stigmatiser, encourager chacun à les assumer ou les revendiquer ne
66peut ni ne doit conduire à les enseigner ou les diffuser en tant que telles (et, à ce titre, ce qui demeure d’enseignements en langues et cultures d’origine dans le cadre de conventions internationales devrait, en liaison avec nos partenaires, évoluer radicalement). Car l’État veut et doit permettre à chacun de connaître, goûter, et apprécier tous les arts, sans exception. Il n’a en revanche aucun droit, ou devoir – car il n’y a ni nécessité ni légitimité à – désigner tel ensemble de pratiques, mœurs et genre pour les ériger en culture assignée à un groupede personnes et qui devrait demeurer leur apanage, leur marqueur, leur domaine – reconnu,mais aussi cantonné. Que l’art soit dans son essor, son motif, son idéal, islamique, catholiqueou bouddhique, ne veut pas dire que les pratiquants, ou les personnes originaires des régionsoù l’on pratique, soient les seuls à le goûter, reconnaître, et pratiquer. Pas plus que l’art grec n’est réservé aux Hellènes, l’art africain n’est cantonné aux habitants d’Afrique et à leurs descendants, non plus que l’art caraïbe aux Antillais ou la musique inuit aux résidents du cinquantième Nord. L’éducation artistique, les musées, l’aide à la création doivent évidemment ne concerner que l’art – sans qualificatif d’origine ou de référence, parce que c’est la plus noble expression de la race humaine, la mieux à même d’en célébrer l’unité par la langue universelle parlée dans notre patrie terrienne.
La deuxième impasse est sociale : elle cantonne, mais dans la médiocrité et au travers de la démagogie. À l’effort d’élévation que demande l’art, à la rude discipline de sa pratique, aux exigences rigoureuses de la création, elle substitue la complaisance et la veulerie dans la facilité, en admettant comme culture les procédés commerciaux industrialisés du divertissement, en reconnaissant – en parole, car en pratique, le cantonnement est aussi celui géographique des acteurs et de leurs publics – comme culture ce qui, note-t-on avec condescendance, occupe, amuse, exprime des sections de la société qu’on ne veut pas voir et avec lesquelles on n’entend pas se mélanger autrement que pour le temps d’une photo.
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Il va de soi que les cultures urbaines ont généré des œuvres, des pratiques, novatrices et dignes – d’intérêt, d’estime, de soutien – danse, musique, arts plastiques notamment. Mais comme pour les cultures dites d’origine, l’État n’a aucun droit de les soutenir ou diffuser uniquement au profit de leur milieu d’origine ou de leur public initial – il ne peut le faire que parce que c’est aussi du grand art. La culture, c’est Hippolyte et Aricie dans les quartiers nord et le Rap à l’opéra Garnier; les mères du Val fourré au premier rang de l’opéra Bastille,et les jaguars venues du boulevard Saint-Germain en double file à la maison de la culture desMureaux. Sinon ce n’est pas la peine que l’État dépense un sou, un seul pour quelque forme d’art que ce soit.
Avec l’éducation, et plus encore qu’elle, la culture est le plus insigne domaine de ségrégation sociale. Les aristocraties s’y perpétuent en dépit des capacités et des goûts. Les briser est le devoir de l’État – pour offrir à chacun les plus hautes formes de l’art, passé et présent, pour que chacun ait la liberté de goûter et choisir. L’incapacitation, plus qu’ailleurs est ici le seul objectif.
Elle passe par une farouche exigence d’universalité, dans les formes offertes et enseignées, qui doit être porté par les institutions culturelles d’État, publiques ou subventionnées, et doit inspirer le nouvel élan que le ministère de la culture entend donner aux enseignements artistiques. Ces derniers doivent être élargis à toutes les facettes de la culture (non pas seulement aux cultures du monde, à la diversité, aux cultures premières ou indigènes) sans limite d’origine ou jugement de valeur. L’art pariétal émane de Français de souche, contrairement à la Joconde réalisée par un travailleur immigré – ce n’est pas une raison pour écarter l’un ou exalter l’autre, et n’offrir le premier qu’aux descendants directs de néandertaliens, et le second aux communautés d’origine italienne : toute chronologie mise à 67part, il faut, pour ce qui est de la diffusion des œuvres, préférer toujours Jordi Savall à Wilhelm Furtwangler. Cet élargissement des cultures à toute la culture, à tous les stades de l’intervention publique, doit être visible en priorité dans l’enseignement scolaire, dans les manuels (que borner à la littérature française et à la poésie française conduit à méconnaître l’esprit même de la culture – française, c’est-à-dire, dans sa conception des lumières, universelle), dans les pratiques – si flûtes à bec il doit y avoir, du moins que le répertoire s’en étende tant il est riche partout dans le monde. À partir de l’école on devrait d’ailleurs s’efforcer de toucher les parents : pourquoi ne pas poser le principe que toute visite culturelle accomplie avec l’école se traduirait par la remise aux enfants de deux billets d’entrée pour leurs parents leur permettant de visiter gratuitement la même institution le week-end suivant?
Plus radicalement, pour agir symboliquement, c’est-à-dire efficacement, dans ce domaine, il faut remédier à l’invisible interdiction, qui n’est pas que financière, faite aux habitants des quartiers visés par la politique d’intégration, de fréquenter les lieux de haute culture. Hormisles enfants, parfois, qu’on regarde la file d’attente du Louvre, de Pleyel, des opéras, ou de laVilla Médicis, qu’on regarde surtout vernissages, master class, et grands festivals d’été : oùsont-ils ? Qui vient ? Ce n’est pas Mozart qu’on assassine – on lui demande juste de regarderla télévision et de faire du rap et du slam chez lui s’il s’appelle Mohamed et Aïcha plutôt que Wolfgang ou Constance.
Posons donc le principe suivant, par la loi : interdisons la construction de nouvelles institutions culturelles ailleurs que dans les communes relevant des zones prioritaires de la politique de la ville dans les trente années à venir. Ne tolérons d’exception que pour les formes de création qui en naissent et qu’on doit généraliser dans les seules communes définies par le nombre d’assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune ou ne respectant pas
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les critères du logement social – le centre de break-dance a Neuilly (sur Seine) la maison duslam rue de la Pompe (16e) et le RAP pour les NAP... Si l’on avait construit la philharmonie à Montfermeil et consacré la rénovation du français à la création d’une première salle à Chanteloup-les-Vignes – et conçu ensuite évidemment tarifs et transports et services associés en fonction de ces localisations, on aurait mieux justifié les sommes investies. Il est trop tard dans ces deux cas (pour des institutions qui, du reste, sont par ailleurs exemplaires dans une programmation qui ne s’assigne aucune limite nationale ou ethnique ou historique) – mais pas pour les prochains investissements majeurs. Le principe doit être que ce qui émane des quartiers doit en sortir et que toute la plus haute culture doit y entrer.
Cela ne suffira pas – on peut se croiser aux amandiers sans se mélanger, être à deux pas sans se fréquenter. L’auteur de ces lignes reçoit, comme une partie des fonctionnaires qui le lisent, chaque jour des invitations à des vernissages, (même ceux de la cité nationale de l’histoire de l’immigration) – manifestation la plus visible de ce que l’appartenance à un milieucrée un cycle vertueux de connaissances, de recommandations et de facilités : à ceux qui ont le revenu et le pouvoir, on offre en plus la gratuité d’une offre privée, élargie, hors marché, sans prix, qu’on leur présente gracieusement. Le revenu achète (en tant qu’il est le reflet del’appartenance à un groupe ou une classe) le capital culturel invisible.Il faut donc transférer le capital culturel
Ce transfert peut s’opérer lentement et indirectement par les politiques sociales, éducatives etculturelles, qui sur le long terme y contribuent. On propose de le transférer aussi massivement, maintenant.
Pour toutes les institutions publiques, ou d’ailleurs privées, comme par exemple les nouveauxmultiplexes de cinéma et nouvelles salles de concert auxquels on n’a pas besoin d’appliquer le principe de localisation dans les quartiers périphériques, puisque c’est en général là qu’il est le plus économique de les installer, la loi imposerait d’émettre un capital social composéde titres, remis, sur la base de critères objectifs tirés de l’impôt sur le revenu, représentatifs du capital culturel associé à l’institution. Ce titre familial serait transmissible par voie d’héritage au sein de la famille, mais pas cessible, ni d’ailleurs valorisable.Il donnerait droit à un accès privilégié à cette institution : tarif réduit et abonnement à moindre coût; accès à des soirées privées, privilégiées, d’avant-première ; contact avec les acteurs culturels – interprètes, créateurs, metteurs en scène, techniciens, musiciens ; accès aux coulisses (ou backstage) ; participation à des master-class, assistance aux répétitions ; conditions privilégiées pour métier d’été, stages, participation occasionnelle. Pour les institutions publiques, leur statut régirait l’obligation de développement de cette politique et le pourcentage du budget de fonctionnement qui devrait y être consacré quel que soit le volume du budget. Pour les institutions privées, l’autorisation administrative qui prélude toujours à leur ouverture imposerait la même obligation comme pourcentage du chiffre d’affaires. On voit qu’il ne s’agit que d’officialiser les privilèges de facto mais de façon occulte aujourd’hui réservés à une caste sociale minoritaire.
Au regard du rôle clé que doivent jouer l’éducation artistique, et l’éducation et la formation qui y conduisent, ces deux dernières sont parmi les premiers vecteurs de la construction d’une société inclusive. Former les créateurs et les artistes de demain dans l’esprit nationalqui inspire ces lignes – libre, fraternel, ouvert, puissant, audacieux, sans crainte – c’est assurer peu à peu la capacité collective de reprendre l’écriture du roman national plutôt que d’en fêter avec nostalgie et amertume les images d’Épinal jaunies et flétries.
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La reconquête des classes populaires par la société doit passer par une éducation populaireartistique. La seule manière d’égaliser les capacités, de transcender les origines, de passeroutre les interdits religieux ou les coutumes culturelles, de parler, aux plus jeunes notamment,de discipline, de morale, d’efforts, et de respect – c’est faire de la musique, peindre, sculpter, écrire, déclamer ; et pas seulement les arts urbains, on l’a dit: qu’on médite la leçon des orchestres de jeunes du Venezuela, comme escalier social, bouclier contre la violence, passage des valeurs. Il est inutile de chercher dans le tour de France de deux enfants des injonctions aux populations les plus modestes – et pourquoi diable leur infligerions-nous ce qui nous fait sourire et que nous ne disons pas à nos enfants ? Qu’on trouve partout des professionnels de bon niveau donnant, dans les lieux adéquats et au moment pertinent, non pas une occupation, mais un accès à la culture, pas à des divertissements mais à des pratiques, sans esprit de canaliser la violence par la simulation de la compétition, à quoi onveut réduire trop souvent le sport, mais en offrant une discipline, un apprentissage, des lieuxde partage. L’équipement culturel ne devrait jamais être un accessoire, mais au contraire lepremier équipement social. L’action de recueil de la mémoire qu’on propose comme mesure d’urgence doit être préconisée comme une sorte de 1 % culturel, non pas en escamotant cette obligation par l’achat d’une fresque à trois tagueurs, mais en pensant l’agencement des lieux de pratique et les salles, l’offre de formation pour l’ensemble des publics présents – et en le finançant de façon durable par cette mobilisation des crédits d’investissement au profit de cette offre de formation culturelle. Que la guerre des bandes devienne la recherche du disque d’or entre la philharmonie des quartiers nord de Marseille et l’orchestre baroque des Tarterets ou un quatuor issu du Mirail.
L’accès à la formation doit se prolonger dans l’enseignement supérieur artistique aujourd’huiaussi ségrégatif que les autres formations supérieures. Il faut trouver – par des discriminationsterritoriales comme celle pratiquée à l’IEP de Paris, qui ont, au moins, le mérite d’exister, parles partenariats ciblés permettant de financer des bourses, des parrainages, comme le fontde nombreuses écoles d’ingénieurs et de commerce, par les exigences normatives pour les professions réglementées (dans les écoles d’architecture) ou étatisées (au sein des écoles normales, de conservatoires nationaux…) – peu importent la voie, le moyen, et il faut commencer par le discours et l’ambition. Les formations artistiques supérieures qu’offre l’État ne sont pas pour les ratés de la bourgeoisie, ne sont pas pour les Français blancs, elles sont pour tous, et on ne peut imaginer plus bel ascenseur social que celui de l’art.
On pourra (non sans raison) critiquer un tropisme classiciste – encore qu’on y opposera à nouveau qu’il n’y a aucune raison pour cantonner les pauvres et les immigrés à une forme de sous-culture globalisée plutôt que de leur offrir la haute culture qui est aussi la leur et à laquelle chacun a droit. On n’ignore pas que le principal accès à la culture – au son et à l’image pour commencer – passe un peu plus par les médias et les NTIC que par la grande salle du concertgebouw ou la galerie des offices.
Précisémentn il y a au moins un champ social dans lequel la société est inclusive : celui de la communication instantanée, via les réseaux sociaux, téléphoniques et informatiques. C’estun espace commun non ségrégatif, horizontal où chacun est en contact avec la société sansréelle barrière. C’est certes le lieu de tous les dévoiements – où l’industrie du divertissement recourt aux conditionnements animaux par un marketing insidieux pour créer des dépendances purement consuméristes ; où n’importe qui peut endoctriner, dire n’importe quoi et intoxiquer, truquer, trafiquer ou fausser – rumeurs, mensonges, faussetés, islam de pacotille, musique à deux temps encore plus pauvre que la musique militaire, bobards
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nauséabonds, peuvent proliférer. Et pourtant! C’est aussi la porte ouverte à une création artistique entièrement neuve, hors marché, brute, et trouvant son public – public impitoyable et non-marchand ; c’est le lieu du débat, le seul lieu où l’écriture, notamment via les blogs et les forums, a encore rang, le lieu de l’information, de l’immédiateté court-circuitant les vérités officielles et la bien-pensance, comme ceux qui s’en revendiquent les porteurs, et, comme le montrent tant de pays, le lieu aussi d’une liberté retrouvée, le vrai forum, – enfin l’outil qui a à remédier à la disparition des fonctions tribunitiennes, en permettant à chacun, loin du Sénat et de l’empereur, de devenir un moment tribun de la plèbe. Il faut reconnaître ce champ et ses pratiques comme étant le vrai lieu social et culturel, et demain, espérons le,politique, de l’inclusion progressive (pour les générations qui viennent – et on verra commenty amener les vieillards). Les pratiques qui s’y échafaudent et s’y inventent ont besoin d’aide, de moniteurs plus que de tuteurs – apprendre à se protéger (par exemple notamment pour les créateurs), développer des capacités de rayonnement et de diffusion, partager des éthiques (de débats, de rencontres, d’échanges d’informations), construire la tolérance et le discernement. La rente de cette technologie a été capturée par quelques entreprises qui, sans investir, sans créer, sans rien faire que capter la publicité ou abuser de marges éhontées, rançonnent utilisateurs et créateurs. Il est temps de leur imposer la contribution financière (qui rassurons-les, pérennisera leurs activités en enracinant un peu plus l’usage de leurs produits et services) qui permettra partout, dans les classes populaires, en essaimant à partirdes quartiers, de diffuser les bonnes pratiques, de former, de professionnaliser. Là aussi on pourra détecter des talents non académiques qu’il doit être possible de reconnaître et d’ériger en meneurs, moniteurs, formateurs.
C’est à la démocratie, à la vérité, au respect d’autrui qu’on éduquera ainsi dans le plus grandrespect de la liberté dans l’un des rares espaces dans lequel aujourd’hui les questions de race et d’origine ne peuvent a priori structurer la parole et la place de chacun.
Loger
Le logement est le premier vecteur de l’intégration, avant l’emploi et le savoir. Nos sociétés ne connaissent et ne reconnaissent de membre à part entière que localisé par un habitat – fut-il mobile comme celui de nos concitoyens du voyage. N’avoir point de toit est n’avoir aucun point de départ pour une vie sociale mobile, ascendante, enrichissante.
Nous avons fabriqué pour les populations les plus modestes, et parmi elles notamment celles visées par la politique d’intégration – un logement spécifique qui a trop souvent des effets contraires à ce qu’on devrait escompter : ce logement est subi tant dans sa consistance que sa situation ; il est le plus souvent inadapté aux besoins, notamment par sa taille ; et il fonctionne non comme une protection de la vie privée où abriter des bonheurs domestiqueset d’où tracer un parcours personnel, mais comme un vecteur de contrainte sociale, fermantmatériellement comme symboliquement des accès, condamnant définitivement à un milieu, une situation, une pratique culturelle.
L’objectif doit être que le logement permet à nouveau ou enfin d’habiter – la ville, et la société, c’est-à-dire d’y choisir la vie qu’on entend y mener dans toute la mesure possible. À ce titre, c’est moins une politique du logement qu’une politique de l’habitat qu’on doit se mettre en capacité de conduire. Le but ne peut pas en être la (jamais atteinte) mixité sociale– mais la restauration progressive de la liberté par le desserrement des contraintes liées aulieu et à l’environnement. Il n’est pas sûr, en effet, que cette fameuse (ou fumeuse) mixité ait
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jamais existé, ni d’ailleurs que la société la produise; et la concentration de personnes par affinités (à condition que ce ne soit pas par contrainte) est spontanée, hormis quelques quartiers où la variété domine – créant le plus souvent une attractivité un peu sulfureuse… Que personne ne se sente assigné : telle est l’ambition. Que nul ne soit jugé défavorablement sur sa seule adresse : tel est le but. Dans l’immédiat, faire confiance aux habitants, leur donner l’opportunité d’exprimer leurs attentes et leurs visions de leur manière d’habiter les lieux est l’évidente voie de progrès la plus rapide. On sait que cette orientation se heurte immédiatement aux mêmes objections que le suffrage universel sous la Monarchie de Juillet: ils n’en veulent pas, ils ne sauront pas, c’est la porte ouverte à une minorité d’exaltés extrémistes structurés en associations non représentatives, manipulées, ou islamistes. Passons : nous avons fait 1848 (la révolution de la deuxième République, du moins jusqu’aux journées de juin...) pour faire taire ce genre d’objection.
La participation des habitants se travaille : elle a un coût, une technique, un temps de maturation. Mais elle est seule de nature à restaurer la confiance et à permettre aux décisions d’aménagement, de construction, de rénovation, de répondre aux désirs et aux besoins de tous les habitants.
Elle est en outre l’occasion de faire émerger une élite locale, non académique, mais riche de savoir et de compétences laissées en jachère : connaître un territoire et son passé, avoir la mémoire des habitants, être en mesure de parler plusieurs langues (de tribus sociologiques plus qu’étrangères) sont autant de capacités qui, mésusées, font les géniaux et criminels organisateurs de trafic, ou les amers zélateurs de religions vengeresses, mais qui, identifiées, reconnues, font les patrons, chefs, cadres de demain, dans le logement social, l’aménagement urbain et la vie des quartiers. Des pans entiers de l’industrie ont vu naître 71ainsi leur première génération de cadres – dans l’informatique, la communication, le marketing. Pourquoi ne pas chercher ainsi à faire émerger ce que les cheminements scolaires normaux n’ont pu séduire et former?
L’État doit soutenir les structures – associations, ateliers d’urbanisme, cabinets d’architecture sociale – qui sont les maîtres d’œuvre potentiels du renouveau urbain, pour qu’elles recherchent le sentiment, les perceptions, les attentes des habitants. Les amener à exprimer leur manière d’habiter doit les conduire, animés par cette élite nouvelle qu’il est impératif d’aider ainsi à émerger, à concevoir et formaliser leurs désirs leurs besoins et leurs vœux: des trajets de transport public à la résorption des coupures urbaines, de la forme des espaces publics à la configuration des logements. Tout doit être prétexte à penser concrètement un renouveau du lien social et une façon plus dynamique, moins passive, de vivre les lieux: leurappropriation collective est la première manière de ne plus les subir, et passe par mille voies– du maniement des défibrillateurs qu’on installerait au pied des HLM, au jardin commun defleurs ou de légumes, des circuits sécurisés pour enfants se rendant à l’école aux modalités de tri sélectif… On ne doit plus accepter un seul projet de rénovation qui n’investisse pas d’abord dans la qualification des habitants comme acteur de sa conduite et de la définition de son contenu.
À cette capacité de déterminer un avenir commun – qui ne passe en rien, on l’a vu, par la destruction du passé – et un destin individuel moins subi, doit répondre une offre à la hauteur.Les architectes portent ici une responsabilité historique : ils doivent, comme leurs devanciersrépondant aux ambitions des princes, apporter aujourd’hui une réponse aux vœux des habitants,qui ne transite ni par la finance, ni par la technique, pour s’exprimer. Leur tâche est d’inventerles constructions, les espaces, les structures, répondant aux aspirations – de sûreté, de liberté,
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de propriété, de protection, de reconnaissance, mais aussi de pratiques collectives nouvelles, auxquelles ils doivent trouver les espaces en permettant l’exercice pacifique. Les habitants veulent à juste titre être fiers, leur aspiration va à la maison individuelle mais aussi aux espaces communs, au centrage sur le quartier (des équipements, commerces, et services,…) sans relégation : un effort national de création est ce que l’on attend des architectes, et il revient auministère de la culture de le susciter. Offrir beauté et modernisme d’un habitat salubre, économeet approprié aux plus modestes dans les quartiers à reconstruire : qui parmi les architectes, refuserait le programme mobilisateur qui ne demande pas de crédits supplémentaires et seulement une haute idée de l’humanité pour laquelle on bâtit?
Les opérations à conduire doivent être des opérations sociales. Aucun investissement ne peut, par lui-même, changer les états sociaux: c’est la manière d’habiter, les liens créés parla structure de l’espace, les services disponibles, les objectifs sociaux poursuivis, quantitatifs et qualitatifs, qui sont seuls de nature à donner un sens au béton. Le diagnostic social préalable et le processus d’implication des habitants doivent se concentrer sur des quartiers,où (pour ce qui concerne l’intégration) les “immigrés” sont massivement présents, mais viser toute la population d’un bassin donné. Le succès n’est pas d’avoir dilué les populations, déplacé ceux qui composent le problème, ou apaisé les “Français de souche” en leur retirantde leur environnement le trop-plein d’immigrés trop visibles : le succès est que chacun puissehabiter décemment en territoire urbain ou rural partagé, peut-être pas en s’aimant, mais en faisant un peu mieux que se tolérer. L’effort ne peut donc porter seulement sur l’investissement dans la pierre.
C’est pourquoi on appelle à ce que la politique de rénovation urbaine diligentée, en général
72avec talent et succès, par l’ANRU, soit décidée d’abord pour des visées sociales selon des considérations sociales et avec des ambitions sociales. De ce fait, une fraction des crédits de la rénovation doit être consacrée au sein d’une enveloppe globale à créer dans ce qui est reconstruit les fonctionnalités sociales requises, et adaptées, avec la même durée que les bâtiments qu’on édifie. Si l’on estime que le quartier doit comprendre de grands logements pour familles nombreuses, c’est qu’on connaît cette population et qu’on a identifié ses besoins : sa provenance et sa culture d’origine, ses mœurs et ses pratiques religieuses, ses modalités de socialisation des enfants des adultes et des vieux, son rapport à l’école au sport, etc. C’est aussi qu’on en a nécessairement identifié les carences, et c’est en face de celles-ci qu’il faut prévoir les locaux, les associations, les services publics, pour cinquante anssi le bâtiment doit durer cinquante ans, permettant aussi longtemps que nécessaire de garderles enfants, d’alphabétiser les adultes, de palabrer et de prier, de créer et d’échanger, bref de vivre une vie sociale. Il ne sert à rien d’offrir à ceux qui zonent dans une cage d’escalier défoncée une cage d’escalier neuve si on ne leur offre pas d’abord un autre choix que d’y zoner. Il ne faut pas ici un impératif moral, il existe, est méprisé. Il faut en faire une obligationlégale en inventant une catégorie de crédits – ceux de rénovation urbaine – qui à chaque foisqu’on croit couler dix€ dans le béton se traduit par le fait qu’on en consacre deux à salarier le personnel, aménager les locaux, et doter de moyens celles des structures publiques, privées ou associatives, compétentes pour répondre à l’ambition sociale, qui avait justifié, initialement, l’investissement.
Cette obligation de co-investissement dans les fonctionnalités sociales est coûteuse, mais elle ne doit pas pour autant être limitée au zonage réducteur de la politique de la ville.Il faut donc y associer le secteur privé. Celui de la construction et de la promotion est trop affecté par la crise pour supporter une taxation ou une réglementation, au demeurant difficile à écrire, tant les besoins sont locaux.
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Il est alors possible de passer, notamment pour les grands investissements ou équipements, mais aussi pour des projets modestes, à une notion de coefficient d’occupation du sol (COS) social, et plus généralement en usant de la faculté de l’État à créer de la valeur par la réglementation, de poser le principe que les autorisations d’urbanisme et d’aménagement seront bonifiées si les projets comportent la garantie d’un co-investissement social de même intensité et durée. Si le constructeur d’un immeuble garantit, pour la durée de son opération, et avec le statut d’un investissement, en termes financiers, les fonctionnalités sociales attendues (médiation sociale, accompagnement scolaire, crèche adaptée, lieu de réunion, pôle d’accès à la culture, à la formation, à l’emploi, garderie périscolaire,…), le droit doit permettre de l’autoriser à dépasser les contraintes dans une certaine mesure (plus de surface, de hauteur, d’emprise au sol, de proximité à la limites séparative) de façon à financer plus que le surcoût généré par les engagements de fonctionnalités sociales qu’il prend. De même, si un promoteur de centre commercial inscrit son projet dans une dynamique inclusive (par exemple pour l’emploi, l’accès à la formation, l’adaptation des commerces aux familles…), pourquoi ne pas desserrer la contrainte réglementaire à due proportion ? Bien évidemment, en proposant les mêmes avantages et souplesse à l’association de petits commerçants et artisans du centre-ville, ou au groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) ou à la coopérative agricole. Les incitations fiscales des ZFU et des ZUS ont vécu, et leur efficacité est controversée : passons aux jeux gagnants/gagnant de l’incitation réglementaire par dérogation, investissement social contre avantages économiques. Il faudra naturellement que le contrat soit écrit, audité, et contrôlé – en y associant les populations, et en assurant la transparence de son exécution.
Point de respect des jeunes sans respecter les vieux
Depuis le temps que les immigrés objets de tous les fantasmes, les passions, où les accusations, sont jeunes, ils ont eu le temps de devenir vieux. Un peu moins que nous – leur espérance de vie est plus courte, ce qui est en soi un signe inquiétant, et une exigence d’action immédiate supplémentaire.
Morale et dignité se combinent aux exigences de notre loi fondamentale pour nous faire un devoir d’assistance, de soins, envers tous les vieux, même immigrés. Ils cumulent quant à eux souvent toutes les difficultés sociales – plus mal logés (rappelons les foyers de travailleurs migrants), plus mal retraités, en plus mauvaise santé, moins bien acceptés, et souffrant plus encore de la ségrégation, de la dépendance, et du manque de mobilité que tout autre membre de cette catégorie pudiquement appelée troisième âge.
Ils doivent devenir l’objet de nos priorités pour une raison à son tour plus cynique, mais d’importance majeure. Si nous ne les traitons pas bien, comment faire croire à leurs descendants que la parole publique est sincère quand elle parle d’égalité des droits ? De valeurs, fondées sur la solidarité, et la famille ? L’obsession envers la jeunesse – turbulente, islamiste, rebelle, indisciplinée – bref, à laquelle on reproche surtout d’être jeune, ne peut être guéri qu’en s’intéressant aux vieux. Qui, alors, pourront jouer tout leur rôle social, majeur: avant de parler de mixité sociale, parlons de mixité des âges ; quand un grand-père ou une grand-mère traversent un hall, s’assied dans un square, raconte sa guerre et dit ses souvenirs, part prier, on peut prédire que les trafiquants baissent d’un ton, que les gamins sont un peu plus surveillés, qu’on pratique une religion plus paisible, et qu’on pondère son irrédentisme. La présence des “vieux” invite au respect, elle accrédite l’existence de racines qui sont ici,
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elle montre une forme de sagesse sociale qui, sans qu’on s’illusionne sur sa portée, contribue, quand même, à pacifier les lieux et les esprits. Encore faut-il que nous ne donnions pas l’actuel spectacle de l’indifférence, du mépris, et de la dureté envers eux.
Une fois les gestes de la décence élémentaire accomplie – un adoucissement des conditions de perception des pensions, l’achèvement, enfin, de la mise à niveau des foyers de travailleurs migrants, il faut d’abord traiter la question du logement. Le maintien à domicile est d’autant plus vital qu’il joue un réel rôle social. Ce maintien dans les lieux malgré leur âge, passera par la détermination d’une offre de logement adaptés, comprenant notamment celle de logements médicalisés, ou médicalisables, fut-ce en dérogeant aux normes les plus exigeantes pour les adapter aux capacités des associations et aux besoins réels, et le principe de création de structures adaptées au sein même des quartiers et des zones urbaines rénovées, ou de l’ensemble de l’agglomération concernée.
La priorité donnée au service de droit commun doit, aussi, se traduire par la mise en œuvre, au sein des structures d’accueil des personnes âgées d’une politique de lutte contre les discriminations. Elles existent, hélas, aussi dans les maisons de retraite, passant par l’argent ou par des biais moins avouables. La population accueillie devrait pourtant – comme à l’école ou à pôle emploi ou au supermarché – être à l’image, ni plus ni moins, de la population française. L’agrément des établissements devrait être subordonné à un plan de résorption des disparités entre populations locales et publics accueillies, en impliquant l’ensemble des acteurs, (notamment ceux de la formation des personnels, du suivi et de la médiation sociale…) dans sa mise en œuvre.
Une attention particulière doit être portée à l’accès aux droits des personnes âgées de condition modeste (l’origine important peu, la surreprésentation des personnes issues de l’immigration, dans ces catégories, assurant leur prise en compte, sans créer un sentiment d’injustice chez les autres), en travaillant à un accompagnement social adapté. Les structures associatives se donnant pour but leur socialisation – par la visite, le contact, le maintien d’un lien social, la promotion de la mémoire, le rôle dans la vie civique, etc. – sont un exemple important de structures subventionnables pour leurs capacités plus que pour leurs prestations (cf I-4). Il faut aussi envisager une réglementation plus bienveillante pour la computation et le versement des retraites : en termes de preuves et d’établissement de droit, on devrait pouvoir créer par dérogation des présomptions ou des vraisemblances, s’agissant souvent de travailleurs pauvres aux carrières chaotiques et fragmentées, peinant à reconstituer l’exacte étendue de leurs droits, a fortiori pour le conjoint survivant qui souvent est une veuve les ayant rejoints en cours de vie professionnelle au cours d’un regroupement familial ; une négociation sociale pourrait ici utilement desserrer des contraintes qui ne produisent que des économies dérisoires, si on valorise le temps d’acharnement administratif auquel on contraint bien malgré eux les agents des caisses et des mutuelles. Enfin la valorisation morale des personnes âgées doit être un objectif partagé : porteurs d’une culture, d’un passage (géographique et symbolique), d’une pratique sociale, d’une religion amenée avec eux, très éloignés des fantasmes inventés sur Internet par les plus jeunes coupés de leurs racines, ils sont seuls de nature à supprimer ou adoucir, en comblant les solutions de continuité, le sentiment de déracinement des plus jeunes, et à leur communiquer les éléments constitutifs d’une identité réelle, et non résultant de reconstructions fantasmatiques. Le respect des anciens, que partagent toutes les cultures et toutes les croyances, est un lieu commun de pacification des mœurs. Encore faut-il les admettre parmi nous, et les reconnaître, matériellement, humainement.
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Conclusion
Il se peut qu’on s’étonne, à lire ce qui précède, d’un ton, d’un style et de formes qui manquent au devoir de grisaille sinon de réserve. Il n’est pourtant pas dit que servir appelle la morosité, ni que la gravité du problème exige la solennité de port de ceux qui le traitent. On se trompe en croyant que, comme aux belles heures des années cinquante, l’État peut demander à sa technocratie d’élite des solutions techniques parfaites. Il peut seulement proposer à la société de se mettre en mouvement, et s’affirmer le garant que personne ne sera laissé pour compte ou écrasé au passage. Il est permis de penser que l’affichage d’un peu de lyrisme, le retour d’un peu de rêve, les échos joyeux d’une grandeur qui ne serait plus martiale, mais sociale pourraient s’avérer plus efficaces que la compassion digne annonçant avec gravité des vérités aussitôt démenties. Il se peut que le monde soit désenchanté; si l’on veut ainsi signifier que l’irrationnel et la superstition y ont perdu leur rôle autrefois éminent, on ne saurait s’en plaindre. Servir, dans notre monde de profusion, n’est pourtant pas seulement délivrer le résultat de calculs – et d’autant moins qu’en matière de politiques sociales, la mathématique abdique toujours devant les ruses du vivant: c’est, avant tout, tâcher d’honorer par ses œuvres, si modestes soient elles, le renom du genre humain. C’est ce qui inspire les lignes qui précèdent, dont on espère simplement que, combattues ou décriées, on en partagera du moins l’intention; car, en ce qui concerne les immigrés et l’intégration, on l’a compris, la République nous appelle…
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Annexes 77 |
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Annexe n° 2:
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liste des personnes auditionnées
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Ministres et cabinets ministériels
Ministres :
Cécile DUFLOT, ministre de l’égalité des territoires et du logement Francis LAMY, ministre délégué chargé de la ville
Manuel VALLS, ministre de l’intérieur
Cabinets ministériels :
Cabinet du ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattantsÉlus
Claude BARTOLONE, député de la Seine-Saint-Denis, président de l’Assemblée nationale Esther BENBASSA, sénatrice du Val-de-Marne, vice-présidente de la commission des lois René VANDIERENDONCK, sénateur du Nord
Edouard PHILIPPE, maire du Havre
Xavier LEMOINE, maire de Montfermeil
Pierre CARDO, ancien président de la Communauté d’agglomération des Deux Rives de Seine
Administration
Administration centrale
Michel AUBOUIN, directeur de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté du ministère de
l’intérieur
Stéphane FRATACCI, ancien secrétaire général à l’immigration et à l’intégration du ministère
de l’intérieur Opérateurs nationaux
ACSé
Naïma CHARAÏ, présidente du conseil d’administration Rémi FRENTZ, directeur général
Frédéric CALLENS, directeur de cabinet
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ANRU
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Gérard HAMEL, président du conseil d’administration
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Pierre SALLENAVE, directeur général
Anne PEYRICOT, directrice des affaires institutionnelles
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HCI
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Patrick GAUBERT, président
Benoît NORMAND, secrétaire général
CNHI
Jacques TOUBON, président du conseil d’orientation de l’établissement public du palais de
la Porte dorée
OFPRA
Pascal BRICE, proposé pour les fonctions de directeur général de l’OFPRA
Administration déconcentrée
Pascal JOLY, préfet délégué pour l’égalité des chances auprès du préfet de la région Nord Stephane ROUVE, préfet délégué pour l’égalité des chances auprès du préfet de la Seine‑
Saint-Denis
Fatiha BENATSOU, préfète déléguée pour l’égalité des chances auprès du préfet du Val d’Oise Alain MARC, préfet délégué pour l’égalité des chances auprès du préfet du Rhône Marie LAJUS, préfète déléguée pour l’égalité des chances auprès du préfet des Bouches-du-Rhône Seymour MORSY, préfet délégué pour l’égalité des chances auprès du préfet de l’Essonne Pascale PETIT-SENECHAL, DRJSCS Bretagne
Azzédine MRAD, DRJSCS Franche Comté
Babacar FALL, DRJSCS Ile-de-France
Yann LE FORMAL, DRJSCS Aquitaine
Associations et personnalités qualifiées
Associations nationales
Ligue des droits de l’homme
Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme France Terre d’asile
CIMADE
Service jésuite des réfugiés
Forum réfugiés
POUR UNE SOCIÉTÉ
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LA GRANDE NATION
Autres associations et personnalités qualifiées POUR UNE SOCIÉTÉ
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Amou AGUINI, Centre social Conjugue Argenteuil – Val d’Oise
Sakina BAKHA, ancienne directrice adjointe à la direction régionale FASILD de Rhône-Alpes
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Boualem BAZAHOUN, Association El Ghorba-Les Chibanis LA GRANDE NATION
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Djamel BENIA, Association pour le Développement des Initiatives et la Citoyenneté en
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Europe (ADICE)
Naoufel BENSAID, comédien
Rachid BENZINE, islamologue
Marie-France GUEYFFIER, Fédération des Centres sociaux de Paris
Murielle MAFFESSOLI, présidente de l’Observatoire régional de l’intégration et de la ville (ORIV) Alsace
Ahmed NEDJA, Med’In Marseille : Télévision associative Sylvain ZONGRO, réalisateur.
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Annexe n° 3 :
LA GRANDE NATION
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résumé analytique des principales
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propositions
Propositions de court-terme
La vérité des flux maintenant
Diagnostic : Les chiffres de l’immigration restent parcellaires et ne font l’objet que de peu de publicité. Ces insuffisances handicapent les décideurs pour l’élaboration des politiques publiques et contribuent à nourrir idées fausses et fantasmes au sein de la société population.
Proposition : Confier au Haut Conseil à l’intégration (HCI) refondé (cf. proposition x) la mission d’établir et de rendre publics, au moins annuellement, les chiffres des flux migratoires, et de mettre en place la critique scientifique de ses méthodes, en s’appuyant tant sur les établissements de recherche que sur un réseau de chercheurs nationaux et internationaux.
Textes de référence : Décret n°89-912 du 19 décembre 1989 portant création d’un Haut Conseil à l’intégration, art. 1er.
Français naturellement, par l’école ou les enfants
Diagnostic : L’acquisition de la nationalité est présentée comme la consécration d’une intégration réussie. Elle est pourtant rendue difficile à deux catégories d’étrangers bénéficiant d’une “présomption” de bonne intégration : les enfants d’étrangers ayantsuivi l’intégralité du parcours scolaire français, réputé intégrateur ; les ascendants de Français, résidant sur le territoire depuis une longue période.
Proposition : Donner la nationalité sur simple déclaration :
~ Aux étrangers ayant suivi une scolarité complète (scolarité obligatoire) en France ;
~ Aux ascendants de Français séjournant en France depuis vingt-ans ou plus.
Textes de référence : Articles 21-12 et suivants du code civil.
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Honneur aux braves
USIVE
Diagnostic : Les anciens combattants issus des anciennes colonies sont des héros
nationaux auxquels leurs descendants devraient pouvoir être fiers de s’identifier.
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Pourtant, la reconnaissance nationale à leur endroit – qu’ils soient morts sur la France
E SOCIÉTÉ
ou qu’ils aient survécu – reste lacunaire.
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Propositions :
~ Afin d’aider ces anciens combattants survivants à bénéficier des prestations qui leur ont été progressivement ouvertes, prévoir une information régulière sur les droits et une assistance aux démarches administratives, ainsi qu’un accès facilité(notamment dans le pays d’origine) à une consultation médicale de suivi permettant de faire évoluer les pensions ;
~ Afin de rendre publiquement honneur à la mémoire de ceux qui sont morts pour la France, organiser une commémoration solennelle autour d’un mur du souvenir, démontrant le profond attachement de l’armée et de la nation aux illustres anciens de toutes confessions et de toutes origines
Achevons de rénover les foyers et laissons les immigrés vieillir en paix
Diagnostic : La situation des travailleurs et anciens migrants, logés dans des foyers vétustes dont la rénovation est sans cesse reportée, n’est pas digne. Les difficultés matérielles de ces populations sont en outre aggravées par des difficultés d’accès aux prestations sociales, en raison de la rigidité de la condition de durée de séjour en France mise à leur perception.
Propositions :
~ Achever le plan de rénovation des foyers de travailleurs migrants dans un délai de dix-huit mois ;
~ Prendre les décrets d’application des articles 58 et 59 de la loi dite de cohésion sociale du 5 mars 2007, permettant d’assouplir au profit de ces populations la condition de séjour en France.
Textes de référence : Art. L. 117-3 du code de l’action sociale et des familles et L. 311-7 du code de la sécurité sociale, issus des art. 58 et 59 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.
Notre histoire partagée est une mémoire vivante
Diagnostic : Nécessaires, les opérations de rénovation urbaine font trop souvent table rase du passé. Elles devraient, au contraire, être l’occasion, pour les populations qui cohabitent dans les quartiers, de réfléchir à leur histoire commune, de s’approprier leur espace et de replacer la dimension humaine au cœur des projets urbanistiques.
Proposition : Prévoir qu’une fraction de la ressource mobilisée pour tout projet de rénovation urbaine soit systématiquement consacrée au recueil, à l’exposition et à la conservation de sa mémoire, pouvant comprendre l’édification préalable d’un lieu de mémoire, en association avec les habitants et sous l’égide de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration.
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Contrôle social des critères d’accès au logement POUR UNE SOCIÉTÉ
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Diagnostic : LA GRANDE NATION
~ Nombreux et parfois contradictoires, les critères d’attribution des logements sociaux sont
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difficilement accessibles et intelligibles par les demandeurs. L’opacité des procédures
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(multiplicité des intervenants, absence d’information sur les délais d’examen des
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demandes) ajoute à cette difficulté, source d’incompréhension et de rancœurs.
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~ Les caractéristiques des parcs de logements sociaux sont, en outre, parfois inadaptées aux besoins de certaines catégories de population, immigrées ou autres.
Propositions :
~ S’agissant des critères d’attribution :
-Définir par la loi les critères généraux d’attribution des logements sociaux ;
-Prévoir une adaptation locale des critères dans le cadre d’une structure de concertation associant aux élus, services déconcentrés et bailleurs sociaux des représentants de la population (médiateurs locaux, associations représentatives, syndicats, personnels de terrain spécialisés dans l’accompagnement social).
~ S’agissant de la procédure d’attribution :
- Confier à une autorité unique (élu local lorsque les obligations en matière de logement sociaux sont remplies, préfet dans le cas contraire) le pouvoir de décision en matière d’attribution des logements ;
- Mettre en place une information initiale et périodique du demandeur sur le traitement de sa demande et la publicité systématique des décisions anonymisées d’attribution prises et des critères retenus.
Textes de référence : Articles L. 441 et R. 441-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation.
Vérité face aux clandestins
Diagnostic : Si l’immigration clandestine est un fait, son traitement politique et médiatique, consistant à mettre en scène des campagnes de reconduite massives de clandestins organisés en filières, occulte deux réalités : d’une part, les clandestins “éloignables” sont minoritaires ; d’autre part les clandestins “non éloignables”, pour des raisons juridiques ou matérielles, finissent par être régularisés. Le résultat en est que les premiers sont traités comme des victimes expiatoires, tandis que les seconds sont maintenus plusieurs années sans statut sur le territoire, avant de se voir attribuer un titre de séjour sans qu’aucune action d’intégration n’ait pu être menée à leur profit dans l’intervalle.
Propositions :
~ Rétablir, au profit des clandestins reconduits, des délégations de l’office français de l’immigration et de l’intégration chargées de mettre en place des aides à la réinsertion sociale conditionnées à des projets professionnels durables dans le pays d’origine ;
~ Créer pour les clandestins non éloignables un statut de tolérance permettant l’inscription dans un parcours d’intégration pouvant mener, moyennant le respect d’engagements de la part de l’intéressé, à une régularisation programmée au terme de cinq ans.
Textes de référence : S’agissant du modèle allemand, article 60a de la loi sur le séjour des étrangers du 1er janvier 2005 dite Aufenthaltsgesetz.
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Des carrés musulmans dans les cimetières
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Diagnostic : Bien qu’elles ne l’interdisent pas, les dispositions législatives relatives à la
police des cimetières sont souvent utilisées pour dénier aux musulmans le droit de
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procéder à l’enterrement dans des conditions conformes aux consignes de leur religion.
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USIVE
Proposition : Disposition législative, élaborée après concertation entre les représentantsdes différents cultes et les maires (compétents pour la police des cimetières et l’octroides concessions), permettant de conférer une base légale explicite à la pratique dite des “carrés musulmans” comme à d’autres pratiques au profit d’autres cultes.
Textes de référence : Articles L. 2213-7 et L. 2213-9 du CGCT ; circulaire du ministère del’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales du 19 février 2008, “Police deslieux de sépulture – Aménagement des cimetières – Regroupements confessionnels des sépultures”, NOR : INTA0800038C.
Propositions de moyen terme
Acteurs
Le devoir d’intelligence, de pédagogie et de critique
Diagnostic : Une politique d’intégration efficace suppose une bonne connaissance despublics et une évaluation scientifique, qui fait aujourd’hui défaut, des actions menées à leur profit.
Propositions :
~ Modifier le statut du HCI : changement de nom, réduction de l’effectif du collège à neufpersonnes qualifiées nommées par l’exécutif et le Parlement, réduction des moyens budgétaires mais mise en réseau avec de grands établissements de recherche; ~ Lui confier une mission d’animation et de diffusion de la recherche scientifique en matière d’intégration ainsi que d’évaluation scientifique des politiques publiques d’intégration.
Agir puissamment sur un territoire dans une République décentralisée
Diagnostic : La multiplicité des acteurs chargés d’actions d’intégration, au sein tant de l’État que des collectivités territoriales, nuit à la cohérence des politiques publiques et entraîne une dissolution des responsabilités.
Proposition : Créer, à titre expérimental, sur une vingtaine de territoires, pour une durée de trois ans :
~ Des EPCI chargés de l’intégration auxquels seraient déléguées l’ensemble des compétences et des moyens dévolus aux collectivités territoriales et EPCI en matière d’intégration sur un territoire donné ;
~ En miroir, un service commun d’intégration comprenant l’ensemble des services déconcentrés de l’État en charge de ces questions sur le même territoire sous l’autorité unique d’un préfet délégué.
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Agences POUR UNE SOCIÉTÉ
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Diagnostic : La politique d’intégration est, au niveau national, entre les mains d’un
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service de l’État (la DAIC) et de trois grands opérateurs (OFII, Acsé, ANRU) dont les
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périmètres d’intervention respectifs manquent de cohérence et conduisent, en
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particulier, à la concentration des actions sur les primo-arrivants et les habitants des
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quartiers de la politique de la ville, sans qu’aucune action nationale ne puisse être
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menée sur les autres catégories d’immigrés.
Propositions :
~ Élargir le champ d’intervention de l’OFII, renforcé et territorialisé, à l’accueil et l’accompagnement personnalisé, sur la base d’un CAI mieux adapté aux besoins, de l’ensemble des primo-arrivants ;
~ Faire de l’Acsé, absorbant la DAIC et se renforçant de directions territoriales, le vecteur national d’action globale pour l’intégration dans toutes ses composantes, à l’exclusion des suivis individuels initiaux réservés à l’action de l’OFII ;
~ Maintenir l’ANRU et l’encourager dans la voie du traitement social des problématiques de rénovation urbaine ;
Mettre en place, entre les tutelles des trois agences, un pacte d’actionnaires permettant un pilotage commun et créer une agence commune de moyens pour l’administration des fonctions support.
Il faut sauver les associations
Diagnostic : La politique publique d’intégration repose sur un double paradoxe : d’une part, alors qu’elle touche au cœur de la fonction inclusive de la société, elle a été abandonnée par l’État aux mains des associations ; d’autre part, les coupes budgétaires et les complications procédurales ont mis à terre, dans ce domaine, le secteur associatif.
Propositions :
~ Engager un débat national sur la place des associations dans la politique d’intégration ;
~ Œuvrer à la simplification des procédures en :
- Mettant en place un formulaire de financement unique ;
- Créant un Médiateur national des associations, nommé par le HCI pour 5 ans, pouvant être saisi par les associations qui estiment faire l’objet d’un traitement manquant de neutralité de la part d’un financeur.
~ Rénover les modes de financement en :
- Créant des “SEM sociales” permettant d’inclure dans des structures publiques des acteurs associatifs ;
- Permettant le financement de structures plutôt que de prestations ;
- Diversifiant les modes de subventions (dotations en capital, garanties, dépenses fiscales, dotations en personnel).
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LA GRA
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Des fonctionnaires d’élite
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Diagnostic : Les multiples restructurations qui ont affecté le secteur de l’intégration ont
conduit à une perte des compétences et à un déclassement statutaire des personnels
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dans un domaine où le capital humain est la plus précieuse des ressources. Loin d’être porteur, le secteur de l’intégration apparaît aujourd’hui comme une impasse dont il est
E SOCIÉTÉ
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quasiment impossible de valoriser la fréquentation dans un parcours professionnel.
Proposition : Créer dans les trois fonctions publiques une filière “métiers de l’intégration” permettant la mobilité professionnelle des agents et la valorisation de leur expérience.
Thématiques
Toute politique doit être politique d ‘intégration
Diagnostic : Les services publics de droit commun, qui devraient pour l’essentiel suffire à l’insertion des populations issues de l’immigration à l’instar du reste de la population, sont eux-mêmes, mécaniquement, producteurs de discriminations.
Proposition :
~ Obliger chaque service de l’État, sur la base d’un constat des discriminations qu’il produit, à définir des objectifs pluriannuels susceptibles de les résorber ; ~ Soumettre l’ensemble de ces services à une obligation de rapport annuel devant le Parlement sur les moyens mis en œuvre et la réalisation des objectifs ; ~ Introduire dans les réglementations professionnelles et économiques des clauses dérogatoires lorsque des engagements en matière d’intégration sont pris. -
Culture : c’est aux fruits qu’on reconnaît l’arbre
Diagnostic : Partager une culture commune a des vertus intégratrices évidentes, mais l’accès à la culture et à ses codes est rendu plus difficile pour les populations immigrées ou issues de l’immigration. Lutter contre l’exclusion culturelle suppose d’éviter à la fois l’écueil du multiculturalisme, qui assigne à chaque groupe des références propres en fonction des origines, et celui du cantonnement des populations défavorisées à une “sous-culture” du divertissement.
Propositions :
~ Interdire par la loi et pour une période donnée la création de toute nouvelle institution culturelle ailleurs que dans les quartiers de la politique de la ville, sauf pour les formes d’expression culturelles elles-mêmes issues de ces quartiers ; ~ Attribuer aux familles, sous condition de ressource, un titre émanant d’une institution culturelle et leur donnant un accès privilégié, tant qu’elles remplissent les conditions de son octroi, à cette institution ;
~ Favoriser l’accès des jeunes défavorisés à la pratique culturelle par l’instauration de structures dédiées dans leurs lieux de vie et de mesures de discrimination positive dans les formations artistiques supérieures ;
~ Soumettre les réseaux sociaux à une contribution destinée à favoriser des actions de formation et de valorisation des talents qui s’y développent.
POUR UNE SOCIÉTÉ
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LA GRANDE NATION
Loger POUR UNE SOCIÉTÉ
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Diagnostic : L’accès au logement est un levier essentiel de l’intégration. Sa puissance
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est démultipliée lorsqu’il se fait dans une zone conçue en fonction de la satisfaction
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des besoins sociaux de ses habitants, tandis que l’association de ces derniers à la
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conception des projets permet de faire émerger des compétences. Inversement, des
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parcs de logements conçus sans l’adhésion des habitants et sans prise en compte de
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leurs besoins peuvent aggraver d’un volet géographique l’exclusion économique, sociale et culturelle dont ils pâtissent.
Propositions :
~ Subordonner la conception de chaque projet de rénovation urbaine à l’association des habitants à sa définition et à sa mise en œuvre ;
~ Définir les projets de rénovation urbaine d’abord en fonction de visées sociales ;
~ Permettre, pour la délivrance des autorisations d’urbanisme, des dérogations aux règles d’urbanisme (COS, règles de hauteur des constructions) lorsque le construction s’engage à assurer la construction et le fonctionnement de fonctionnalités sociales sur la durée d’amortissement du projet.
Point de respect des jeunes sans respect des vieux
Diagnostic : La présence d’“anciens” dans les quartiers a d’évidentes vertus pacificatrices.Inversement, laisser les immigrés les plus âgés vivre dans la misère entame la foi des plus jeunes en l’avenir et exacerbe leur sentiment d’exclusion.
Propositions :
~ Imposer l’implantation de logements médicalisés dans les quartiers ;
~ Soumettre l’agrément des établissements pour personnes âgées à des obligations de lutte contre les discriminations sociales ;
~ Mettre l’accent sur l’accès au droit des personnes âgées issues de l’immigration (subvention aux structures associatives spécialisées, simplification des démarches administratives pour l’obtention des pensions, etc.)
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